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Pour la petite histoire

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Télébougie

13 octobre 2017

C’est la fin de la journée. Autour d’une bonne salade de petits dragons bleus à la sauce tomate, les jeunes ratazazous discutent avec les plus vieux. Zazoum, Zoralarousse, Poumpoumpidoum et Cibiline, toujours curieux de savoir comment ils peuvent s’entraider dans leur mission de spécialistes en communication, interrogent Maluciendôz, le plus vieux des ratazazous. « Eh bien, dit Maluciendôz, la réponse se trouve peut-être chez les habitants du monde… » Zazoum écoute, impatient. Mais tout à coup, Clignotine et Taratatam, deux ratazazous de deuxième année, les entraînent tous dans la cour du quartier : ils vont faire une partie de mouchoir-zazou. Tous les ratazazous adorent ce jeu ! Ils s’assoient en rond, et trois ratazazous sont tirés au sort pour courir autour de la ronde. Seul l’un des trois tient le mouchoir-zazou, un mouchoir dans lequel on a fait un triple nœud. « Allons, il est temps », dit Maluciendôz à Zazoum avec un clin d’œil.

Les chiens du quartier aboient, le jeu commence. Parmi les trois ratazazous qui courent, c’est Clignotine qui tient caché dans sa main le mouchoir-zazou. Mais chut ! Il ne faut surtout pas vendre la mèche. Vite, elle se dépêche, elle court. Elle a les joues rouges et le cœur qui bat vite. Si elle réussit à dénouer le mouchoir dans sa course et à le déposer derrière un ratazazou sans qu’il s’en aperçoive pendant un tour entier, elle aura gagné et pourra moucher le nez-en-trompette du perdant. Tout le monde crie, les chiens du quartier courent aussi autour de la ronde. Mais la partie traîne. Clignotine n’est pas à son affaire, elle oublie de défaire les nœuds. Maluciendôz la taquine : « Allons, il est l’heure… Il y a un jeune habitant du monde qui a besoin de ton aide. » Il est déjà tard, en effet, et le ciel devient sombre. La partie de mouchoir-zazou doit se terminer. Ce soir hélas, personne n’aura gagné. Tous les ratazazous sont fatigués et contents d’aller au lit.

Mais contrairement aux autres ratazazous, Clignotine ne va pas dormir. Elle met le mouchoir-zazou dans sa poche et, encouragée par Maluciendôz, se rend dans son atelier de fabrication de bougies. Attention, ce ne sont pas n’importe quelles bougies, que fabrique Clignotine : ce sont des télébougies. Celles-ci permettent aux habitants du monde de penser les uns aux autres. Lorsqu’on allume une télébougie, la personne qui vous l’a offerte pense à vous. C’est la technique de la pyroconnexion : à chaque fois que la bougie de l’un s’allume, la pensée de l’autre voudra s’allumer aussi, même s’ils sont séparés par des océans, car la bougie et la pensée sont connectées grâce au savoir-faire des ratazazous. Après quelques instants, on distingue dans la flamme de la télébougie le visage de la personne qui l’a offerte, et avec un peu de concentration, on peut même échanger quelques mots simples comme « merci » ou « à l’aide » ou encore « je t’aime ».

Clignotine s’amuse beaucoup à faire de la pyroconnexion depuis son Entrée des métiers. Les flammes, c’est son domaine. Son travail est très utile, car les habitants du monde ont un grand besoin de penser les uns aux autres. Mais fabriquer une télébougie, cela prend beaucoup de temps. Alors, pour garder les yeux ouverts, Clignotine chante un ou deux refrains de la fameuse chanson des ratazazous, la Radonelle. Dehors, le quartier est silencieux, les chiens ont cessé d’aboyer. Clignotine chante toute la nuit, maniant ses outils avec grand soin. Elle coupe, elle taille, elle assemble avec ses mains rugueuses, mais si habiles…

Télébougie

Elle doit quand même se dépêcher un peu, car il faut avoir fini avant le jour. En effet, pour tester la télébougie la toute première fois, il faut l’allumer et l’éteindre à brefs intervalles quand il fait encore nuit : on voit mieux les défauts et les imperfections à corriger. Mais ce soir, elle traîne un peu, Clignotine. Seule dans son atelier, elle chantonne plus qu’elle ne travaille. C’est qu’elle a la tête ailleurs… Sa dernière télébougie, elle ne l’a pas donnée aux habitants du monde comme les autres, elle l’a offerte à son ami Taratatam. C’était la plus belle de toutes celles qu’elle avait fabriquées jusqu’ici. Taratatam était si content ! Cette nuit, Taratatam doit avoir allumé sa bougie, car Clignotine pense très fort à lui. Elle a les joues rouges et le cœur qui bat vite. Et si des habitants du monde arrivaient à voir Taratatam en ce moment, ils distingueraient dans ses yeux le reflet d’une petite flamme qui a les traits de Clignotine. Allez savoir les mots qu’ils se disent…

Mais soudain, Clignotine sursaute : un moment d’inattention, et la mèche de sa bougie s’est emmêlée, zut ! Elle essaie de la redresser, ajoute de la cire, mais alors sa bougie devient beaucoup trop grosse. C’est raté ! Clignotine s’en veut. Elle se rappelle les mots de Maluciendôz : un jeune habitant du monde a besoin d’aide. Il ne reste plus qu’à recommencer, à faire une autre bougie.

Mais il n’est plus temps de rêvasser. Elle ne doit pas perdre la course contre le soleil, il lui faut profiter de l’ombre qui reste avant le lever du jour. Vite, elle se dépêche, elle court. Elle pense à Taratatam, mais cette fois-ci pour se donner du cœur à l’ouvrage. Et ça marche ! Quelques instants plus tard, sa nouvelle bougie est terminée. Elle a juste le temps de tester son système de pyroconnexion avant le premier rayon de soleil, puis de réarranger la mèche pour qu’elle semble comme neuve. Un dernier petit tour… Ça y est, la télébougie pour l’habitant du monde est prête.

Et que fera-t-elle de la bougie trop grosse ? se demande Clignotine. Elle en coupe un morceau afin de dénouer la mèche. Puis une idée lui vient : elle coupe encore une fois, puis encore une. Elle arrange puis teste les quatre morceaux, les quatre nouvelles petites bougies… Elle les donnera à Zazoum, Zoralarousse, Poumpoumpidoum et Cibiline pour qu’ils puissent se les offrir, et communiquer par télépensée. N’est-ce pas là un beau moyen de s’entraider dans leurs métiers ?

 

Le soleil va se lever. Clignotine a bien transpiré. Elle met la main dans sa poche, y défait trois nœuds, puis s’essuie le front et le nez-en-trompette avec le mouchoir-zazou. Il est temps pour elle d’aller dormir.

 

Texte   Faustina Poletti
Illustration   Annick Vermot
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes