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Pour la petite histoire

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Quand je serai grand, je serai...
... peintre sur nuages

9 novembre 2018

Je suis venu prendre le goûter chez mon copain Bruno, cet après-midi. Dehors, la température a baissé d’un coup. On s’amuse à faire des dessins sur les vitres pleines de buée. Bruno est plus grand que moi. En levant le bras, il arrive à dessiner plus haut. Il fait le tour des gros nuages blancs qui tachent le ciel bleu. Moi, je fais un peu la tête, parce que je me suis fâché avec maman. Tout à l’heure, j’ai fait tomber une bouteille de sirop d’abricot qui était trop haute pour moi. Elle s’est cassée sur les losanges du carrelage, et ç’a fait plein de saletés. Mon sirop préféré, en plus : le sirop de soleil, comme on dit avec maman. Maman m’a grondé, elle a même crié. Je n’aime pas quand elle crie. Je me demande pourquoi les choses qui intéressent les enfants sont si souvent hors de leur portée. Je n’y peux rien si je suis petit pour mon âge. Tant pis, je bois du sirop de souci.

– C’est pas très rigolo, ces nuages tout blancs, je dis.

– Ça dépend, Bruno répond. Avec mon tonton Théodore, une fois, on avait inventé un jeu où on disait que les nuages, c’était de la barbe à papa. C’était rigolo.

Le tonton de Bruno, il a plein de super-idées pour chasser les ennuis. Mais pour moi, ces nuages sont aussi blancs qu’une page vide. Je passe mon doigt sur la vitre. Tout à coup, juste sous mon trait, je vois apparaître de la couleur, qui vient comme se déposer sur le blanc des nuages. Ça, ça me plaît bien ! Vite, je cherche un autre coin de buée, je me mets sur la pointe des pieds…

– Attends, me dit Bruno en faisant un aller-retour au salon. Tiens, prends ça pour aller plus haut.

Tout content, je grimpe sur l’escabeau qu’il pose devant moi, et je trace d’autres lignes sur la vitre. Derrière la buée, une traînée de la couleur des feuilles des arbres colore la page blanche.

– Hé, regarde ! je dis à Bruno. J’ai peint le nuage en jaune.

Bruno fait comme moi. Il efface un peu de buée sur la droite. Aussitôt, le nuage se tache de vert.

– Oh ! Moi, j’ai peint un bout de la colline sur ma barbe à papa, il s’écrie. J’ai une idée : on disait qu’on était des vrais peintres, qu’on avait un pinceau et une palette de couleurs, et tout et tout…

J’aime bien cette idée. Je recule mon escabeau, je ferme un œil, puis je tends un bras devant moi, concentré. Alors d’un geste, je brosse, j’esquisse, et à la place de la buée je mets des couleurs. Je barbouille tout avec le rouge des vignes d’automne, j’ajoute des touches de gris grâce à une nuée d’oiseaux qui fait le tour du ciel. Puis mes mains glissent non plus sur la vitre mais sur la toile blanche des nuages. D’un coup de pinceau, je les enlumine. Sur un coup de tête, je leur jette de l’or. C’est pour Théodore ! J’adore. J’aimerais bien faire ça en vrai, plus tard. Je peindrais des barbes à papa et des calissons, des papas à barbe et des sourires chez tous les petits garçons ; et aussi des maisons avec escabeaux, du carrelage qui ne casse pas les bouteilles de sirop et où les seuls cris seraient ceux des oiseaux. Quand je serai grand, je serai peintre sur nuages.

Peintre sur nuages

Avec Bruno, on a tellement peinturluré qu’il n’y a presque plus de buée sur la vitre. Le soleil se couche, il faut que je rentre. Les nuages deviennent roses comme si on étalait de la confiture de soleil dessus. Je regarde le cadre de la fenêtre et je rigole : notre tableau est drôlement beau.

A la maison, je raconte à maman. Elle m’écoute attentivement, puis m’embrasse, les yeux tout embués. Elle n’était pas vraiment fâchée, en fait, elle est juste fatiguée, c’est pour ça qu’elle a crié.

Avant d’aller me coucher, je veux lui montrer. Je grimpe sur le tabouret, et dans l’armoire à beau papier, celui pour imprimer les choses spéciales, j’attrape une grande feuille blanche. Puis j’ouvre ma boîte de peinture. Maman me tend deux verres, un pour le pinceau et un de sirop. Du sirop de sourire.

Peintre sur nuages… Et si ça existait pour de vrai ?

 

Texte   Faustina Poletti
Illustration   Alicia Durand
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes