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Pour la petite histoire

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Les ultrasonistes

12 janvier 2018

Voilà déjà quelques générations que les ratazazous ont mis en place un système de communication d’urgence. Ils ont créé un service spécial qui transmet les appels au secours des habitants du monde. Lorsqu’un ratazazou découvre un habitant du monde blessé et isolé, il envoie aussitôt un appel en faisant vibrer à toute vitesse son nez-en-trompette pour produire des sons très, très aigus : des ultrasons. Le premier ratazazou qui entend l’appel se dépêche de le relayer plus loin, et ainsi de suite, les ultrasons circulent à très grande vitesse jusqu’à ce qu’ils aient atteint une zone d’habitants du monde spécialistes des urgences, les soucieux-et-soignants, comme les appellent les ratazazous. Alors le dernier ratazazou de la chaîne leur délivre son message en parlant normalement. Car si les habitants du monde ne peuvent en général pas voir les ratazazous, ils parviennent à les entendre. Ils ne savent pas d’où viennent les voix, mais peu importe, pourvu qu’ils en comprennent assez pour se rendre sur les lieux de l’accident.

Allô-Alline est la responsable du service d’urgences ratazazou de son quartier, comme sa mère et sa grand-mère avant elle. Allô-Alline aime l’urgence, c’est une fonceuse. A tel point qu’elle est parfois impatiente : c’est son petit frère Zazoum qui le lui dit quand elle ne veut pas l’attendre. D’ailleurs, elle a hâte qu’il rentre de son tour du monde en ballon, celui-là… Il lui manque beaucoup. Et il est le premier à admettre qu’en matière d’ultrasons, Allô-Alline est experte. C’est une ratazazou avancée, elle est en troisième année. L’an dernier, elle a suivi une formation très pointue sur les ultrasons avec les chauves-souris de son grenier. Elle a pu entraîner ses coquillettes et son nez-en-trompette pour maîtriser parfaitement les sons d’appel. Allô-Alline a toujours désiré faire le métier d’ultrasoniste, même si l’on en voit parfois de toutes les couleurs. C’est un travail très irrégulier : il peut n’y avoir rien à faire pendant des jours entiers, puis tout d’un coup, ils reçoivent un appel au secours, et alors il faut agir tout de suite ! Mais si Allô-Alline aime ce métier par-dessus tout, c’est parce que quand elle fait vibrer son nez-en-trompette pour transmettre un ultrason de secours, c’est son être tout entier qui se met à vibrer, de dessous ses pieds jusqu’au bout de ses longs cils. Et alors, elle se sent vivre très, très fort.

Aujourd’hui, les ultrasonistes attendent. Allô-Alline et son équipe jouent au ballon-trompillon puis au mouchoir-zazou avec les chiens du quartier. Ça les amuse, et en même temps ça les entraîne à s’organiser et à courir vite. Allô-Alline aide ensuite le jeune Poumpoumpidoum à faire vibrer son nez-en-trompette pour produire des ultrasons, mais sans succès. Elle commence à perdre patience, lorsqu’elle entend les cris de Zoralarousse qui court vers eux.

– Je viens de recevoir une télépensée de Zazoum, dit Zoralarousse en respirant très vite, il a besoin d’aide ! D’après la flamme de ma télébougie, il est revenu, il est tout près d’ici mais il ne peut pas se déplacer… Il parle d’un « enfant du monde en danger ».

Les ultrasonistes

« Un enfant en danger… ne pas le laisser », pense aussitôt Allô-Alline. Elle emmène Poumpoumpidoum et suit Zoralarousse, qui se laisse guider par sa télébougie. Ils retrouvent Zazoum non loin de leur quartier, sur la plage en contrebas du grand pont qui traverse le lac. Quelle joie pour Allô-Alline, Poumpoumpidoum et Zoralarousse de revoir enfin Zazoum ! Mais pas de temps à perdre. Il y a dans le lac un petit garçon qui hurle et risque de se noyer. Allô-Alline et Poumpoumpidoum plongent, le tirent hors de l’eau et l’amènent sur la plage aussi vite qu’ils peuvent – quand on est haut comme trois citrouilles, c’est assez lourd, un enfant !

Zazoum explique alors que le petit garçon se promenait seul et s’amusait à lancer des galets dans le lac depuis le pont. Il s’est penché un peu, puis un peu trop… Zazoum l’a vu tomber à l’eau. Maintenant, le petit garçon pleure, il est blessé. Allô-Alline est un peu ébranlée. Elle a l’habitude d’aider les habitants du monde, mais c’est la première fois qu’elle doit s’occuper d’un enfant. Elle garde pourtant son calme et envoie tout de suite des signaux de détresse ultrasoniques. Puis elle se tourne vers Zazoum et enroule son nez-en-trompette autour du sien, émue de le retrouver.

Hélas, la chaîne de communication ultrasonique prend beaucoup de temps, les habitants du monde spécialistes des urgences tardent à venir. Le petit garçon se met à trembler.

– Est-ce qu’il a peur ? se demande Allô-Alline.

– Il a froid, dit Zazoum en s’agenouillant tout près de l’enfant. J’ai vu faire des habitants du monde : donnez-moi vos vestes, nous allons le couvrir. Venez tout près de lui, vous aussi. Il ne peut pas nous voir, mais il peut sentir notre chaleur !

Ils essaient de le réchauffer, mais ils sont trop petits, et leurs vestes ne font pas des couvertures assez chaudes. Allô-Alline s’inquiète… Et si personne ne venait pour ce petit garçon ?

– Ne t’en fais pas, lui dit Zazoum, ils viendront. J’ai rencontré beaucoup d’habitants du monde durant mon voyage et j’ai remarqué que, malgré leur peine à communiquer, nombre d’entre eux se préoccupent les uns des autres. Il faut faire confiance aux soucieux-et-soignants.

– Mais arriveront-ils à temps ? s’impatiente Allô-Alline.

C’est alors qu’elle se rappelle ce que racontait leur grand-mère sur les animaux qui entendent les ultrasons… Elle se lève d’un bond et recommence à faire vibrer son nez-en-trompette, très, très haut, très, très vite, jusqu’à en pleurer. Bientôt, tous les chiens du quartier accourent et viennent se coucher tout contre le petit garçon. Grâce à eux, il se réchauffe. Il faut attendre les secours, maintenant. C’est tout ce qu’il y a à faire, Allô-Alline le sait.

– Zazoum, murmure-t-elle, si tu me racontais ton tour du monde…

Les ultrasonistes 2

– … Oh, si tu avais vu ! dit Zazoum. C’était merveilleux ! J’ai appris à connaître certains de ses habitants. Tu sais, je croyais que je devais apprendre la technique des ballons transmetteurs pour que les habitants du monde puissent communiquer davantage. Mais en fait, ce que j’aime faire par-dessus tout, c’est redonner des couleurs aux messages qu’ils se donnent, pour les rendre plus forts. Après tout, le gardien des ballons peut devenir gardien des couleurs, pas vrai ? J’ai essayé, et j’ai vu que même un tout petit peu de couleurs, ça aide à communiquer.

– C’est fou ! s’émerveille Allô-Alline. Tu crois que je pourrais voyager avec toi un jour pour connaître les soucieux-et-soignants ?

– Oh oui, bonne idée ! crie Zazoum en clignant des yeux. Je mesurerai mes ballons pour en trouver un qui peut porter deux ratazazous dans les airs ! dit-il en donnant à ses yeux la couleur du ciel.

A côté d’eux, le petit garçon semble délirer. Allô-Alline pose sa main sur son front. Elle a l’impression qu’il les voit. « Bleu, bleu, bleu… ça clignote », dit l’enfant. Allô-Alline regarde son frère, qui bat des paupières. Cela met de la couleur sur le visage du petit garçon. Et si cela aidait à le signaler, à le sauver ? pense Allô-Alline. Après tout, Zazoum est devenu gardien des couleurs, pas vrai ?

A ce moment, ils entendent les soucieux-et-soignants arriver, avec leur alarme et leurs couleurs à eux. Oui, le petit garçon pourra être sauvé ! Doucement, Allô-Alline les aide à le porter, sans que personne ne s’en rende compte. Elle vibre, de dessous ses pieds jusqu’au bout de ses longs cils, elle ne s’est jamais sentie vivre aussi fort… Elle se promet qu’elle fera l’impossible pour aider tous les enfants du monde qu’elle trouvera en danger. « Surtout, ne pas laisser un enfant en danger sans le communiquer aux soucieux-et-soignants de ce monde », répète-t-elle sans cesse, en compagnie de Zazoum, Poumpoumpidoum et Zoralarousse, sur le chemin du retour vers son quartier.

 

Texte   Faustina Poletti
Illustrations   Annick Vermot
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes