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Pour la petite histoire

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Les trois lutins

24 mai 2018

Aujourd’hui, c’est un jour important pour les ratazazous de première année : c’est le jour de l’examen des métiers de la communication. Zazoum, Zoralarousse, Poumpoumpidoum et Cibiline doivent montrer ce qu’ils savent faire pour aider les habitants du monde à communiquer. Ils se demandent bien ce qui les attend. Ils discutent entre eux sur la grand-place du quartier, lorsqu’un très vieux ratazazou les rejoint, tenant une petite branche dans sa main. Ils ont les cils qui tremblent. C’est Maluciendôz, ratasuperviseur et grand responsable des ratasuperviseurs.

Les trois lutins 1

– Alors, les enfants, sommes-nous prêts ? fait-il avec sa grosse voix. Venez, suivez-moi…

– Où allons-nous ? demande Poumpoumpidoum anxieux.

– Où allons-nous ? répète le vieux ratazazou. Eh, dans la forêt, bien sûr ! dit-il avec un clin d’œil.

La forêt est le terrain de jeu de Maluciendôz. Il s’y rend plusieurs fois par semaine pour cueillir des lutins. Il se débrouille comme personne pour les trouver. Les lutins sont des êtres pas plus grands qu’une tête d’épingle, vifs et brillants, qui poussent près des racines des arbres au milieu de bouquets d’iris. Maluciendôz en cueille des joyeux, des peureux, des colériques, des amoureux, et bien d’autres encore : il y a autant de sortes de lutins que de sentiments et d’émotions. Quand il en a suffisamment, Maluciendôz se promène dans les campagnes, les villes, les ports. Il fait sautiller les lutins sur son nez-en-trompette comme de minuscules ballons-trompillons. Et il observe les habitants du monde… Il repère ceux qui voudraient parler mais qui n’y arrivent pas, et il les aide à parler avec les yeux. Pour cela, il choisit le bon lutin, et hop, avec sa petite branche, il le lance sur eux. Le lutin s’installe alors dans leurs yeux et raconte ce qu’ils ressentent au fond d’eux. Lanceur de lutins, c’est le métier de Maluciendôz.

– Nous y voilà, annonce-t-il aux jeunes ratazazous lorsqu’ils atteignent la forêt.

Il s’agenouille au pied d’un arbre dont les racines sont couvertes de fleurs, puis il agite sa petite branche en chantant la Radonelle, la chanson qui aide les ratazazous à bien faire leur métier. Les lutins ne tardent pas à sortir des iris. Maluciendôz les fait grimper sur sa branche, puis les prend dans sa main. Il fait mine de les trier, puis en sélectionne trois d’aspects différents.

– Très bien, dit-il. Voici la consigne de l’examen : « Donnez le nom savant de chacun de ces trois lutins et le sentiment qui lui correspond. » Tenez, fait-il en leur tendant le premier lutin qui danse sur sa petite branche. L’examen a commencé.

Les jeunes ratazazous s’affolent. Comment vont-ils s’y prendre ? Ils ont révisé leurs connaissances sur les habitants du monde, pas sur les lutins ! Maluciendôz les observe, arrêtant son regard sur Zazoum, le seul des quatre dont il est le ratasuperviseur. L’a-t-il suffisamment préparé pour ce qu’il aura à faire ? Maluciendôz aussi a les cils qui tremblent, même si ça ne se voit pas. Il s’en va poursuivre sa cueillette de lutins, lorsqu’il se retourne subitement :

– Ah, j’oubliais ! Vous avez le droit de travailler ensemble, bien sûr… Bonne chance !

Zazoum, Zoralarousse, Poumpoumpidoum et Cibiline réfléchissent. Le seul moyen de découvrir ce que sont les lutins, c’est de les utiliser, se disent-ils. « La réponse se trouve peut-être chez les habitants du monde », leur a dit un jour Maluciendôz. Il faut donc aller à leur rencontre. Sans attendre, ils repartent vers leur quartier par les chemins de campagne. Ils tombent bientôt sur une habitante du monde en promenade. Ils visent ses yeux, et hop là, y lancent le lutin. Puis ils observent. Dans les yeux de la jeune femme grandit une petite lumière.

– Ça sautille dans son regard, s’émerveille Cibiline. C’est comme une partie de ballon-trompillon !

– Ça illumine son visage, se réjouit Poumpoumpidoum. C’est comme un sourire qui réchauffe !

– C’est un gai lutin ! s’écrient-ils tous ensemble.

Les quatre amis reviennent tout contents vers Maluciendôz et lui donnent leur réponse : un gai lutin, qui raconte la joie. Maluciendôz les félicite, c’est une bonne réponse !

Puis il leur présente le deuxième lutin, tout froissé au creux de sa main. Les jeunes ratazazous se remettent en chemin et se rendent en ville. Dans une rue fréquentée, un vieux monsieur qui attend sur le trottoir attire leur attention. Ni une ni deux, nos amis lancent le lutin dans ses yeux ! Soudain, le vieux monsieur baisse la tête et serre les lèvres. Ses yeux ont l’air de souffrir :

– C’est comme s’il y avait une petite guerre au fond de lui, s’alarme Zoralarousse. Ça le blesse.

– C’est comme s’il y avait de la brume autour de lui, s’attriste Zazoum. Ça lui vole des couleurs.

Le vieux monsieur relève la tête, désemparé. Les passants le regardent à peine. L’un d’eux s’arrête pourtant, lui dit bonjour et l’aide à traverser la route. Alors, le vieux monsieur se sent mieux.

– C’est sûrement un diablutin, conviennent les quatre amis.

Ils retournent tout penauds dans la forêt auprès de Maluciendôz, qui accepte leur réponse : un diablutin, qui raconte la peine.

– Ne vous inquiétez pas, les rassure-t-il. Votre monsieur n’est peut-être pas si triste. C’est le diablutin qui lui en donne l’air, mais ce sera de courte durée. Et maintenant, le troisième lutin…

Mais lorsqu’il regarde le troisième lutin qui se trémousse comme une petite flamme entre ses doigts, Maluciendôz est pris d’un doute. Il en perd son lutin ! Il ne comprend pas, il était sûr d’en avoir choisi un autre, plus facile. C’est que ce lutin-là n’est pas très connu. Les jeunes ratazazous trouveront-ils la réponse ? Il s’inquiète… Et s’il n’avait pas assez bien ratasupervisé Zazoum ?

– Je… je vais vous accompagner cette fois-ci, dit-il en les laissant ramasser le lutin.

Ils repartent donc tous les cinq, traversant la forêt, empruntant les chemins de campagne, contournant le centre-ville, allant jusqu’au port. Ils croisent un tas d’habitants du monde très pressés. Les ratazazous ont beau essayer de lancer le lutin dans leurs yeux, celui-ci tombe chaque fois à côté. Cibiline et Poumpoumpidoum se découragent.

– Est-ce qu’on peut faire une pause pour manger et jouer ? demande Zoralarousse.

– Oui, excellente idée ! dit Maluciendôz avec une voix plus douce que d’habitude. Mangeons nos tartines au miel de petits dragons bleus, puis nous ferons une partie de ballon-trompillon.

A peine le repas terminé et la partie de ballon-trompillon entamée, nos ratazazous voient arriver une petite fille dans l’aire de jeux. Vite, il leur faut essayer ! Oh hop… Le lutin tombe dans ses yeux. Tout d’un coup, la petite fille se met à courir et à chanter. Son visage rayonne, et les autres habitants du monde ne peuvent s’empêcher de l’admirer. Zazoum s’approche d’elle.

– Oh ! s’écrie-t-il. Elle a quelque chose qui pétille en elle, comme un ratazazou quand il voit un lâcher de ballons.

Poumpoumpidoum vient voir, lui aussi :

– Elle a quelque chose qui vibre en elle, comme un soucieux-et-soignant quand il sauve des vies.

– Quelque chose la fait rougir, ajoute Cibiline qui les a rejoints, comme quand on aime…

Elle se tait puis regarde Zazoum avec un sourire gêné.

Zoralarousse, elle, semble tout à ses pensées :

– C’est beau, murmure-t-elle, quelque chose allume ses yeux, comme les étoiles allument le ciel.

Les yeux de Maluciendôz s’allument à leur tour. Il se rappelle le jour de son Entrée des métiers, il y a fort longtemps, lorsqu’il est devenu lanceur de lutins. Ce lutin-là était son premier.

Les trois lutins 2

Les jeunes ratazazous discutent entre eux, puis se tournent vers lui :

– Ce lutin met des étincelles dans les regards qu’il habite, il raconte la passion qui enflamme les habitants du monde pour les choses et les gens qu’ils aiment, dit Zazoum. Mais nous ne connaissons pas son nom…

– Ce n’est pas grave, dit Maluciendôz, vous l’avez bien décrit. On l’appelle le lutin sacré, ou parfois aussi l’étincellutin. C’est mon lutin préféré. Et grâce à lui, votre examen est réussi !

Les trois lutins 3

– Hourra ! crient les quatre ratazazous en sautant de joie.

Avec sa petite branche, Maluciendôz ouvre un pan de son manteau et sort quatre parchemins soigneusement roulés et attachés avec un mouchoir-zazou brodé d’un petit dragon bleu :

– J’ai le plaisir de vous remettre votre diplôme de ratazazou avancé, déclare-t-il.

Sur le chemin du retour vers leur quartier, Maluciendôz prend un moment avec chacun d’eux pour discuter de la mission de spécialiste en communication qui l’attend. Il parle avec Poumpoumpidoum, le plus soucieux mais aussi le plus travailleur, avec Zoralarousse, souvent sur une autre planète mais pleine d’idées, avec sa nièce Cibiline, si sensible, et enfin avec Zazoum, son élève.

– L’année est terminée, lui dit-il. Je suis fier de toi, Zazoum, tu as beaucoup appris.

Puis il prend un air sérieux.

– Zazoum, je crois que tu feras de grandes choses pour les habitants du monde. En fait, tu feras bien plus que ton métier de gardien des ballons.

– Vraiment ? demande Zazoum intrigué. Comment ça ?

– Eh bien, un jour, peut-être dans longtemps ou peut-être demain, tu devras prendre la place de quelqu’un parmi les ratazazous, une place importante…

Zazoum le regarde avec ses yeux de toutes les couleurs.

– Ce quelqu’un, est-ce que c’est toi ? demande-t-il hésitant.

– Non, rit Maluciendôz, ce n’est pas moi. Pourquoi ? Aurais-tu aimé devenir responsable des ratasuperviseurs ?

Zazoum ne répond rien.

– Pour ce que tu devras faire, continue Maluciendôz, il faut du cœur. Et tu en as. Te sens-tu prêt pour une telle mission ?

Zazoum ferme les yeux. Quand il les rouvre, on dirait qu’un étincellutin s’y promène. Il sourit à Maluciendôz.

– Je suis content que tu sois mon ratasuperviseur, dit-il simplement.

Sur la grand-place du quartier, Zazoum, Zoralarousse, Poumpoumpidoum et Cibiline chantent la Radonelle à tue-tête pour fêter leur réussite. Maluciendôz rentre chez lui, sa petite branche dans une main, et dans l’autre un bouquet de lutins. Il se retourne et regarde les jeunes ratazazous s’amuser. Après les vacances, ils feront leur Rentrée des métiers.

 

Texte   Faustina Poletti
Illustrations   Annick Vermot
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes