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Pour la petite histoire

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Le télégraphe-vert

18 novembre 2017

Le jeune Taratatam est le ratazazou spécialiste des oiseaux. Il connaît bien toutes les sortes d’oiseaux qui existent dans son quartier : les poinçons, les j’y-pas-être-barbu, les autographes, les corbeilles-à-babiller… Mais ceux dont Taratatam s’occupe le plus, ce sont les télégraphes-verts. Il en fait l’élevage dans les forêts pas loin de chez lui. Les télégraphes-verts nichent dans les troncs d’arbres. Pour se nourrir, ils frappent avec leur bec des coups répétés dans toutes les écorces de tous les troncs qu’ils trouvent, dans l’espoir d’en tirer quelques vers.

Les télégraphes-verts aiment bien Taratatam, même s’il les confond souvent tant ils sont nombreux. Il est costaud, il arrive à porter au moins cinq d’entre eux à la fois. Il les aide à grandir depuis leur nid douillet jusqu’à l’âge adulte. Il caresse leurs ailes avec ses longs cils de ratazazou, souffle avec son nez-en-trompette en battant des mains pour les amuser, ou leur chante la chanson des ratazazous, la Radonelle. Et puis quand ils sont très jeunes et qu’il fait très froid, il les nourrit en mettant dans sa main des larves de petits dragons bleus qui lui restent de son déjeuner. Il en profite pour tester la vivacité de leur bec sur sa peau, rugueuse et épaisse, et il écoute le bruit des petits coups qu’ils donnent sur sa peau durcie, en rapprochant sa coquillette.

Le télégraphe-vert 2

Puis, quand les télégraphes grandissent, Taratatam les dresse afin qu’ils puissent lui rendre service pour aider les habitants du monde à communiquer. Chaque jour, il leur enseigne le popotam, un langage codé fait de bruits courts, de bruits longs, et de silences, qui se combinent pour former des lettres, des chiffres et des signes de ponctuation. A l’âge adulte, tous les télégraphes sont capables de reproduire un message en frappant des coups sur les troncs d’arbres dans le code popotam. Taratatam les envoie alors recueillir les murmures des habitants du monde, puis les fait revenir au cœur de la forêt pour qu’ils composent leurs messages d’arbre en arbre. L’arbre qui reçoit le code popotam le transforme en texte et l’inscrit sur l’une de ses feuilles, que le vent emporte jusqu’au destinataire du message. Le plus souvent, ces messages informent du retour d’un voyage, souhaitent un joyeux anniversaire aux grands-mamans, ou demandent de l’aide à un ami… Taratatam n’y prend pas trop garde. Ça ne l’intéresse pas vraiment, ça concerne les habitants du monde. Lui, il préfère s’en tenir à son travail, il y a assez à faire dans la forêt.

Or ce matin-là, alors qu’il s’occupe du petit dernier de ses télégraphes-verts, voilà qu’il le lâche par mégarde. Le télégraphe s’envole si vite que Taratatam le perd de vue. Saperlipotête-de-linotte ! se plaint Taratatam. Il court dans tous les sens, il l’appelle. Il grimpe sur une souche et essaie de porter son regard au loin. Mais le petit télégraphe est déjà parti. Il est si jeune, il ne sait pas encore bien se nourrir, il risque de mourir si on ne le retrouve pas ! Taratatam s’en veut, il se sent tellement responsable de son télégraphe. Ses cils s’emmêlent et ses yeux deviennent humides.

Cependant au bout de ses longs cils, qui sont de véritables antennes pour voir au loin, quelque chose le chatouille. Taratatam lève les yeux au ciel et distingue un télégraphe différent des autres. Sous le soleil, son plumage est d’un vert intense et brillant… Taratatam ne l’a jamais vu. Il tente de le suivre des cils. Il s’étonne de le voir voler aussi haut pour recueillir les murmures des habitants du monde. Un jour son grand-père Patapiaf, qui lui sert de ratasuperviseur, lui a raconté qu’il y avait parmi les télégraphes-verts celui qu’on appelle l’ange, parce qu’il a toujours du soleil autour des ailes. Serait-ce donc lui, tout là-haut ? Il faudra qu’il demande à Patapiaf. Il en parlera aussi à son meilleur ami Zazoum, quand il sera revenu de son tour du monde en ballon transmetteur. Il pourra peut-être le renseigner : on voit tant de choses en voyageant dans les hauteurs du ciel.

Taratatam suit le télégraphe qui redescend, rejoignant le plus grand, le plus vieux des arbres de la forêt. Le télégraphe y donne des coups de bec avec tant de tendresse qu’on croirait qu’il dépose un baiser dans l’écorce. Taratatam trouve cela très beau. Comme il voudrait que son amie Clignotine soit là pour voir ça ! Et comme il voudrait, lui le costaud, savoir la bécoter avec autant de douceur.

Et si cet oiseau-là avait quelque chose d’intéressant à raconter ? Pour une fois, Taratatam tend la coquillette. Sans se laisser distraire par le travail des autres télégraphes et les gazouillis de tous les oiseaux, il écoute le code popotam du mystérieux télégraphe-vert : un bruit court, un bruit long, un silence… puis deux bruits longs… Il n’est pas sûr, mais il lui semble que le message parle d’amour : l’amour entre les ratazazous et l’amour entre les habitants du monde – les habitants du monde peuvent-ils tomber amoureux comme les ratazazous ? se demande Taratatam. Le message parle aussi de souvenirs très anciens – mais lesquels ? – à l’origine du monde des habitants et de celui des ratazazous. Puis Taratatam n’entend plus très bien. Il aimerait savoir, pourtant… Il croit bien que le message est destiné aussi aux ratazazous, pas seulement aux habitants du monde. Mais le message s’est déjà perdu dans l’air et le brouhaha de la forêt. Une petite feuille verte s’envole et suit le vent du large. On n’entend plus rien, sur le vieil arbre, que le chant des poinçons et des barbes-rougeoles, des martins-prêcheurs et des sibelles, qui répètent leur Radonelle.

Le télégraphe-vert

Soudain Taratatam entend un cri timide mais de plus en plus fort au pied du vieil arbre. Il baisse les yeux sur la multitude d’oiseaux, et écoute avec attention… Saperlipopotam, là ! Il reconnaît son télégraphe-vert ! Il le prend tendrement dans ses mains rugueuses, caresse les petites ailes si douces avec ses longs cils. Comme il est heureux ! Il relève la tête, mais il ne voit plus l’ange. Aurait-il rêvé ? Il faudra vraiment qu’il emmène Zazoum et Clignotine dans sa forêt une fois…

Ce soir, en tout cas, quand il aura fermé les yeux et que le Grand Marchand du quartier aura posé sa caresse de sable sur ses cils, Taratatam sait à quoi il rêvera dans son lit douillet. Il écoutera encore et encore l’ange télégraphe, pour essayer de comprendre. Il pensera à Clignotine, sa chérie. Il imaginera des habitants du monde qui s’aiment aussi fort qu’eux. Il s’endormira avec le sourire.

 

Texte   Faustina Poletti
Illustrations   Annick Vermot
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes