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Pour la petite histoire

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Le petit monstre

4 décembre 2016

Les adultes autour de moi disent que je suis terrible. Avec l’habitude, j’ai appris ce que c’est, être terrible. Parfois, ça me fait rire, mais parfois aussi, ça me pèse lourd.

Ce matin, papa voulait choisir mes habits mais je n’en ai fait qu’à ma tête. J’ai mis mon T-shirt rouge avec le dragon brun et mon jean trop large. Papa n’était pas content du tout. J’ai mis une boucle d’oreille d’un seul côté, et du gel dans les cheveux comme les grands. Maman s’est fâchée. J’ai hurlé qu’ils ne comprenaient rien à rien. Alors papa et maman ont dit que j’étais « vraiment un petit monstre ». Ça m’a mise dans une colère ! J’en avais le feu aux joues. Mais surtout, ça m’a fait comme un caillou dur et coupant qui s’est coincé dans mon cou. Quand papa et maman sont partis, je leur ai à peine fait un petit au revoir avec la main. Je boudais. Sur le palier, la voisine m’a lancé un mauvais regard. Elle devait m’avoir entendue crier.

Petit monstre fabuleux

Heureusement, grand-mère est arrivée, et en me voyant, elle a rigolé. Pas un rire pour se moquer, mais un rire pour être joyeux. Elle a dit : « Tu es fa-bu-leuse, ma petite-fille ! » Grand-mère me trouve toujours fa-bu-leuse. Je voudrais bien que les autres soient comme grand-mère…

Dans la matinée, avec l’école nous sommes allés au musée. Je me suis mise sagement au premier rang pour mieux regarder et mieux écouter la maîtresse. Mais j’ai un peu mené le bal, alors la maîtresse m’a fait les gros yeux : « Va te mettre derrière, a-t-elle dit. D’ailleurs, tu es grande, tu bouches la vue à tes camarades, mon enfant… Allons, je te dis que tu es trop grande ! » Derrière, il y avait le plus petit de la classe. Il me paraissait tout à coup si petit… Moi, je me sentais mal d’être si grande. On aurait dit qu’il rapetissait à chaque seconde à côté de moi, et que je prenais de plus en plus de place. Je n’ai plus osé bouger. Je ne devais pas être bien fabuleuse.

L’après-midi, ma nounou m’a emmenée chez le dentiste. Sur la chaise, j’ai essayé de sourire au dentiste, d’être agréable, mais j’avais vraiment peur. Je me suis mise à me tortiller et à crier. Quand le dentiste a enfin réussi à me faire ouvrir la bouche, il a dit : « Tu as deux dents qui poussent de travers, ma chère. Et celle-là a une forme très bizarre… Il te faudra sûrement porter un appareil dentaire. » Voilà qui ne ressemblait à rien de fabuleux non plus. Vexée, j’ai fait une très vilaine grimace au dentiste.

Petit monstre vert

Heureusement, une fois libérée, j’ai vite retrouvé ma bonne humeur. Pour le goûter au parc, ma nounou avait préparé une tarte à la rhubarbe. Seulement, moi, je déteste les tartes, et je déteste encore plus la rhubarbe. J’ai catégoriquement refusé d’y toucher. Ma nounou n’était pas contente : « Quel fichu caractère, ma petite ! » J’ai senti le petit monstre crier encore en moi… Mais tout à coup ma nounou est devenue toute triste, parce qu’elle avait passé du temps à me faire cette tarte, et aussi parce que c’était la tarte préférée de son ancien amoureux. Elle avait presque des larmes au coin des yeux. Je me suis sentie mal pour elle. Alors j’ai décidé de ne pas faire de crise, je suis venue tout près d’elle, et je lui ai fait un bisou, parce que je l’aime bien, ma nounou. Elle, elle m’a caressé les cheveux et a dit : « Oh, ce n’est pas trop grave. Merci ma chérie. » Et là, ç’a été comme une cuillérée de miel qui m’a glissé jusque dans le cœur. J’avais enfin reçu un mot gentil, le premier de la journée après celui de grand-mère.

De retour à la maison, sur le pas de la porte, je me suis mise à chanter tout fort. Quand nous avons croisé la voisine, j’ai eu un peu peur, mais elle a dit : « Bonjour, ma demoiselle… » Et cette fois, elle avait un regard comme celui de grand-mère. Je lui ai bredouillé un « bonjour » qui rougissait un peu. La journée finissait bien.

Quand papa et maman sont arrivés, je leur ai à peine laissé le temps d’entrer, je leur ai sauté au cou. Ils ont passé toute la soirée avec moi, à m’écouter raconter ma journée. Ils ont souri, partagé mes colères, mes soucis et mes joies. A la fin, j’ai arrêté de parler. J’étais un peu gênée, parce qu’ils avaient aussi sûrement plein de choses à raconter, mais il n’y en avait que pour moi, alors que j’avais été impossible le matin. Puis papa m’a chatouillée en prenant sa voix d’ogre et m’a fait un énorme câlin. Puis maman a murmuré : « Tu sais que je t’aime, mon petit monstre ? » Moi, je leur ai fait un tas de baisers, de monstrueux baisers. Finalement, je pouvais aussi être un bon petit monstre.

Les adultes autour de moi disent que je suis terrible. Parfois, on m’appelle le petit monstre. Mais avec l’habitude, j’ai appris que les petits monstres aussi, on les aime… Et pas seulement parfois, mais pour toute la vie. Alors le petit monstre se sent si léger qu’il pourrait s’envoler.

 

Texte   Faustina Poletti
Illustrations   Annick Vermot
Lecture et bruitages   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes