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Pour la petite histoire

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Lâcher de ballons

6 novembre 2017

Chez les ratazazous, il y a un jour qu’on aime par-dessus tout, c’est le jour de la Fête des couleurs. On se réunit au centre du quartier où on dresse une cantine, et on peut manger au moins dix-sept sortes de salades de petits dragons bleus. Il y en a aux frites, aux spaghettis, aux choux-fleuris, aux salmigondis, ce ne sont pas les recettes qui manquent. On chante aussi en entier les 46 strophes de la Radonelle, la chanson traditionnelle des ratazazous, avec la main sur le cœur. Enfin, en plein midi, on fait un magnifique lâcher de ballons de toutes les couleurs dans le ciel, que les ratazazous regardent à travers leurs longs cils, la bouche grande ouverte tellement c’est beau.

Mais de tous les ratazazous, celui qui préfère la Fête des couleurs, c’est le jeune Zazoum, parce qu’il aime les ballons. Il les aime tellement que le jour de son Entrée des métiers il en est devenu le gardien. C’est drôle que ce soit justement ce ratazazou-là qui s’en occupe, car Zazoum a quelque chose de très particulier : il a les yeux de toutes les couleurs, comme ses ballons…

Lâcher de ballons

– Pourquoi as-tu les yeux de toutes les couleurs ? lui demande le petit Raplaplaf, un tout jeune ratazazou qui n’a pas encore fait son Entrée des métiers.

Mais Zazoum ne répond pas, il est occupé. Aujourd’hui, pour la première fois, il prépare le lâcher de ballons pendant que les autres font la fête. Il entend au loin son ami Poumpoumpidoum chanter à tue-tête la 45e strophe de la Radonelle, qui raconte les ancêtres ratazazous pourfendant des dragons de dix fois leur taille et aussi des histoires sur l’origine des ratazazous… Taratatam et Badabam, deux camarades de deuxième année, l’accompagnent bruyamment, le premier en battant le rythme, le second en faisant sonner son nez-en-trompette.

– Mes parents disent que si tu as les yeux comme ça, c’est à cause de tous les ballons que tu regardes depuis que tu es tout petit… dit alors Raplaplaf.

Lâcher de ballons 2

Zazoum, lui, sait bien que non. Cependant, c’est vrai qu’il regarde beaucoup les ballons. C’est à force de les regarder qu’il a eu un jour une idée : si on utilisait les ballons qui montent au ciel pour transmettre des messages entre les habitants du monde ? On en ferait des ballons transmetteurs ! Après tout, les ballons qui s’envolent finissent toujours par redescendre, et ils n’atterrissent jamais au même endroit. Ainsi, depuis le jour de son Entrée des métiers, Zazoum accroche des messages des habitants du monde à la ficelle des ballons. Avec l’aide de son ratasuperviseur Maluciendôz, le plus vieux de tous les ratazazous, Zazoum a mesuré la quantité de gaz nécessaire dans le ballon en fonction de la distance qu’on veut lui faire parcourir et de la direction qu’il doit prendre, en tenant compte de la température et des vents. Pour connaître la direction du vent, c’est très facile, il suffit de mouiller son nez-en-trompette et de le dresser dans l’air… Mais attention, plus un message est important, plus il pèse lourd. Zazoum fait donc des tests. Il s’accroche parfois lui-même à la ficelle pour voyager avec le ballon, au-dessus de son quartier. Quand les ratazazous voient voler dans le ciel un rond de couleur et une drôle de forme grise qui s’agite au-dessous, le nez-en-trompette dressé au vent, ils crient avec joie : « C’est Zazoum qui teste un ballon transmetteur ! » Les habitants du monde, eux, ne peuvent pas savoir. Ils ne voient que le ballon, pas le ratazazou qui y est accroché et qui, par un fait bien étrange, demeure invisible pour eux. Zazoum, lui, est heureux ! Dans son métier, c’est un peu la Fête des couleurs tous les jours.

Mais de même, le jour de la fête, le gardien des ballons travaille comme les autres jours. Aujourd’hui, pendant son quatrième déjeuner – salsifis poêlés sur lit de petits dragons bleus –, voilà que Maluciendôz vient lui confier un message pour un habitant du monde. Comme il s’agit d’un message un peu délicat, il conseille à Zazoum d’accompagner le ballon transmetteur. Seulement cette fois, le trajet est bien plus long que d’habitude. Zazoum n’est jamais allé aussi loin. Il n’est pas rassuré… Et s’il se perdait ? Il ne reverrait plus ses parents, sa sœur, ses amis !

Maluciendôz le presse. C’est bientôt le moment de lâcher les ballons, il faut en profiter. Zazoum rassemble tout son courage et attrape la ficelle de son meilleur ballon. Lorsqu’il est prêt, Maluciendôz libère tous les ballons, et c’est parti ! Zazoum s’accroche et tient le message sur son cœur pour ne pas le perdre. Puis il monte à une vitesse folle. Tout le monde en bas applaudit fort le spectacle de toutes ces couleurs. Mais très vite, Zazoum ne les entend plus. Il n’entend plus Poumpoumpidoum chanter, ni Taratatam et Badabam jouer, ni Raplaplaf poser des questions. C’est drôle, vus du ciel, les ratazazous ne sont pas plus grands que des graines de citrouille. Zazoum regarde le monde au-dessous de lui, la bouche grande ouverte tellement c’est beau. En fait, il rêverait d’en faire le tour, un jour, à la rencontre de ses habitants.

Lâcher de ballons 3

Un peu curieux, il jette un œil au message qu’il porte… Nom d’un petit dragon, que découvre-t-il ? C’est un message rempli de grands secrets ! Zazoum sent tout à coup qu’il redescend, beaucoup trop tôt ! Aurait-il mal fait ses calculs en préparant son ballon transmetteur ? Non, ce sont les secrets du message et sa peur qui lui pèsent, son corps s’alourdit. Quel malheur, il se trouve juste au-dessus de la mer, il risque de se noyer ! Ses cils s’emmêlent, son courage l’abandonne. En plus, s’il se noie, le message pour l’habitant du monde sera perdu. Cependant, si près de l’océan, Zazoum s’étonne, et c’est un fait bien étrange : il ne voit sur la surface de l’eau que le reflet de son ballon, et pas le sien. Voilà un autre secret… D’où vient que les ratazazous ne peuvent pas voir leur propre reflet ? Il lui semble bien qu’il y a une strophe de la Radonelle qui parle de ça. Mais attention, il se rapproche dangereusement de l’eau ! Vite, Zazoum souffle un bout de la Radonelle avec son nez-en-trompette. Il chante, à contretemps… Qu’importe, en chantant il oublie les secrets, il oublie la peur. Plus il chante, plus il se sent léger ! Son cœur s’agrandit, il se gonfle comme les ballons. Ça y est, il remonte un peu… Ouf, il se sent mieux.

En reprenant de la hauteur, pourtant, Zazoum remarque plein d’endroits où les habitants du monde ont des problèmes de communication. Il voit ces endroits perdre des couleurs dès que les gens ne se comprennent pas, et cela l’attriste beaucoup. Sous ses longs cils, ce sont toutes les couleurs de ses yeux qui s’emmêlent. Il regarde les habitants, qui ne peuvent pas le voir. Il sent qu’il faudrait remettre des couleurs dans leur vie. Il sent qu’il pourrait, lui, leur redonner des couleurs.

Arrivé à destination, son ballon descend doucement, sur la terre ferme cette fois-ci, et Zazoum se pose enfin. Il court vers l’habitant du monde qui doit recevoir son message et se met sur son chemin, ni vu ni connu. Il a le cœur qui bat très, très vite. Il est loin, très loin de son quartier, maintenant. Il ne reconnaît rien. Le monde semble si surprenant ! Oui, il rêverait d’en faire tout le tour, un jour.

L’habitant du monde s’approche. Zazoum lâche le ballon.

Un jour ? Et pourquoi pas… maintenant ?

 

Texte   Faustina Poletti
Illustrations   Annick Vermot
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes