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Pour la petite histoire

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Quand je serai grand, je serai...
... faiseur de papa

2 juin 2019

Je m’appelle Simon et j’ai 8 ans et demi. Il m’arrive quelque chose d’incroyable en ce moment, quelque chose qui va changer ma vie, je le sens bien. C’est à la fois formidable, parce que j’en rêvais depuis longtemps, et très bizarre, parce que je ne le connais pas… J’ai retrouvé mon papa.

Je guette par la fenêtre, impatient. Ce soir, il doit venir chez nous pour la deuxième fois. La première, c’était un peu difficile, on ne savait pas trop quoi se dire. Maman m’a expliqué qu’il se demande comment faire avec moi parce qu’il n’a pas l’habitude de s’occuper d’un enfant, mais que ça viendra sûrement avec le temps. Il paraît qu’il revient de loin. Peut-être qu’il était aventurier…

Pour maman aussi, c’était difficile. Même quand on est adulte, toutes ces années sans se voir, ça fait long. Mais elle, elle savait y faire, parce qu’elle le connaît déjà, et parce que c’est maman, simplement. Lui, il lui répondait « mon petit oiseau », et alors ils se souriaient tous les deux, et c’était déjà beaucoup. Moi, je n’arrivais pas bien à sourire. Je le regardais, curieux, mais il y avait comme une vitre entre nous deux. On est restés là longtemps, chacun de notre côté du canapé. Je voulais savoir plein de choses sur lui, mais j’avais du mal à lui demander tout haut. Je n’arrivais pas non plus à lui dire « papa », je ne sais pas pourquoi. A cause de la vitre, sans doute. Au bout d’un moment, il m’a demandé ce que j’aimais faire.

– Jouer de la guitare électrique, j’ai répondu. Et aussi dessiner.

Alors d’un coup, je me suis mis à tout lui raconter : les cours de guitare, le spectacle de l’école, l’instituteur, mes copains Bruno, Luce et Coraline qui ont mon âge, ma cousine Gabrielle qui est plus petite, tante Rosemonde et grand-papa qui ont « un certain âge », comme dit maman. Puis je lui ai parlé de mes dessins, ceux que j’ai dû faire comme devoir supplémentaire tout au long de l’année parce que j’avais lancé des avions en papier à travers la classe. En racontant, je rigolais un peu, d’un rire tout tremblant, à la fois gêné et joyeux, avec des grelots dedans.

Lui, il m’a regardé avec plein de soleil sur le visage. Il avait l’air content de m’écouter. Mais il avait aussi des nuages qui lui passaient devant, de temps en temps. Je lui ai demandé pourquoi.

– C’est que je ne sais pas comment on fait pour être un papa, il m'a dit. J’ai un peu peur de ne pas y arriver, tu sais. Est-ce que tu es d’accord de m’aider ?

Je n’ai pas répondu. Que les adultes aient parfois peur comme les enfants, je le savais. Mais qu’ils le disent, c’est plus rare. Quand il est reparti, j’ai essayé de balayer les nuages de son visage avec ma main, pour faire de la place aux oiseaux, en attendant d’arriver à faire plus, à dire plus.

Au matin, après une nuit pleine de rêves, j’ai eu une idée. J’ai choisi une belle feuille blanche dans l’armoire à papier et j’ai pris ma boîte de peinture. J’y ai passé toute la journée – j’ai envie qu’il soit fier de moi. Quand on est enfant, on a aussi peur de ne pas arriver à faire les choses, des fois. Mais on sait qu’on doit apprendre, alors on essaie de toute façon. Ça fait moins de questions.

Par la fenêtre, je le vois qui arrive enfin. Dès qu’il entre, je lui montre mon dessin.

– C’est toi, là au milieu, avec la baguette magique ? il demande en posant son doigt sur la feuille.

Je fais oui de la tête. Le Simon du dessin donne la main à maman d’un côté, et de l’autre il tend le bras vers un monsieur qui vole à bord d’une vieille machine en papier, et qui revient de très loin. La baguette magique l’aide à venir jusqu’à eux.

– J’ai fait un dessin de ma famille, je lui explique. Tu sais, comme on nous demande de faire, des fois, à l’école. Du coup, ça y est, maintenant : tu es un papa !

Faiseur de papa

Il ne répond pas. Je me dis que, peut-être, il n’a pas compris. Avec les adultes, je me méfie.

– Ben oui, puisque tu es sur le dessin… je lui dis.

Il me regarde, et quelque chose a changé sur son visage, comme si les nuages s’étaient envolés. Ça brille sur ses joues, peut-être simplement parce que c’est mouillé. Pour la première fois, il caresse mes cheveux, aussi délicatement que si j’étais un moineau, puis fait un bisou dedans. Il faut croire qu’il a su y faire, parce que tout à coup, il n’y a plus de vitre entre nous.

 

Le lendemain, après la classe, mon instituteur veut me voir. C’est bientôt la fin de l’année, et il me rend tous les dessins que j’ai faits pour le devoir qu’il m’avait donné. Il dit que j’ai bien travaillé.

– Toi, quand tu seras adulte, tu ne vas pas t’ennuyer, avec tous les métiers que tu as inventés !

Moi, je me dis qu’il faudra bien ça, ou le monde sera trop étroit pour que j’ose y mettre toutes mes questions, toutes mes colères et tout ce que je me réjouis de faire.

– Mais avant d’être grand, je dis en lui tendant mon dernier dessin, je veux être faiseur de papa. Il faut être un enfant pour faire ça, n’est-ce pas ?

 

Voilà. Avec le temps, j’ai fini par retrouver mon papa. Bien sûr, j’ai plein de choses à apprendre pour savoir comment faire avec lui. Je demanderai de l’aide à ma cousine. Même si elle est bien plus petite que moi, elle doit savoir y faire, Gabrielle : elle a un papa depuis longtemps, elle.

Mais j’entends le grelot de la porte d’entrée. Une grande aventure commence pour moi, Simon, 8 ans et demi. Je cours, et j’ouvre la porte en souriant :

– Bonjour papa.

 

Faiseur de papa… Ça va exister, pour de vrai.

 

Texte   Faustina Poletti
Illustration   Alicia Durand
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes