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Pour la petite histoire

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Dans ma valise, il y a...
... un étui à lune

20 mai 2020

C’est mon tour. Je regarde les cartes à l’envers éparpillées par terre et j’en retourne une. Il y a un chat dessus. J’essaie de me rappeler où était sa sœur, Célien l’a déjà eue tout à l’heure. Voyons. Juste devant maman, il y a la loupe ; au coin à droite, c’est le réveil ; devant moi, la clé… Ah, je sais, le chat, c’est la carte que Célien a retournée au moment où le facteur a sonné pour apporter le recommandé. Elle est là, à ses genoux. Gagné ! A moi les deux chats.

– Oh non, Célien s’écrie. C’est moi qui les voulais, ceux-là. Ils ressemblent à Valentin.

Hier, pour son anniversaire, Célien a été gâté. Il a reçu des livres et des doudous, un Memory de la part de grand-maman Carole, et de maman il a reçu le plus chouette des cadeaux : un chat, un vrai, tout noir avec une touffe de poils blancs sur le cou. Il l’a appelé Valentin.

Pendant que Valentin se fait les griffes sur le tapis, Célien tourne deux cartes : le réveil et l’avion.

– Il atterrit quand, l’avion de papa ? je demande à maman.

– En milieu d’après-midi, maman répond. Papa viendra vous chercher ici, pour cette fois.

Entre maman et papa, ça va mieux, ces derniers temps. Ils se disputent moins depuis qu’ils ont parlé avec le juge pour les familles. Papa a promis qu’à son retour de voyage, on fêterait Célien.

Moi aussi, je voudrais voyager. Porter une valise entre chez maman et chez papa, ça ne compte pas. Je rêve d’aller au bout du monde, moi, et même plus loin ! J’irai avec Célien, parce que lui et moi, pas question d’être séparés. Pas touche, minouche. Je suis une tête de mule, il paraît. Mais là, je ne peux pas aller bien loin, parce que ma valise est toute cabossée et ne ferme plus comme il faut. Je l’ai dit à maman et papa, mais des fois, j’ai l’impression que les adultes n’écoutent pas.

Valentin s’agite. Il griffe rudement Célien, avant de bondir sur le canapé. Il a vu quelque chose. Comme une queue de souris, un brin de laine beige dépasse d’une jolie boîte bleue allongée.

– Tiens, on dirait un étui à lunettes, je fais. A qui ça peut être ?

– Ah oui, tu as raison, maman confirme. Un des invités de Célien a dû l’oublier hier.

Hier après-midi, on a fait l’anniversaire de Célien à la maison avec ses copains-copines. Même qu’ils voulaient tous caresser Valentin. Sauf que lui, il préférait jouer sous le canapé avec sa petite pelote de laine. Il paraît que pour lui, la pelote, c’est un peu comme une souris. C’est mon ami Simon qui me l’a dit. Il était là, lui aussi, avec Coraline et Bruno, parce que je les avais invités à venir manger le gâteau. Simon, Coraline et Bruno, c’est mes meilleurs cops du monde.

On ouvre l’étui, pour voir. Mais dedans, pas de lunettes. Juste une pelote de laine défaite comme une vieille chaussette, avec un brin habilement posé sur la toile intérieure qui dessine un cœur.

– Oh, tu as peut-être une admiratrice, maman dit à Célien en lui désinfectant sa griffure.

Célien rigole, tout en se plaignant que ça pique, le « désinquiétant ».

– Demain, tu prendras l’étui à l’école et tu demanderas à tes copains-copines, maman lui dit.

– C’est bizarre, je fais pensive. Comment on peut oublier son étui et ne pas oublier ses lunettes ?

– En les portant sur le nez, tout simplement, maman répond. Allez, à toi de jouer, Luce.

Je choisis une carte, c’est l’autre loupe. Fastoche, la première est devant maman. Encore réussi. Je continue et… je finis la partie ! Célien et maman râlent. Je gagne tout le temps au Memory.

– Eh bien moi, j’ai trop envie de savoir à qui est cet étui, je dis en fermant un œil et en tenant devant l’autre une de mes deux loupes. Je vais mener l’enquête !

Je m’assieds sur le canapé et j’examine l’objet. Il a l’air neuf. L’intérieur est super-beau avec son tissu bleu ciel. Il ferait une jolie boîte à trésors. Il n’est pas très grand, c’est plutôt un étui d’enfant.

Voyons. Hier, au goûter, il y avait le petit voisin et sa sœur, et aussi Gabrielle la cousine de Simon, et puis les copains-copines d’école… Mais qui parmi eux a des lunettes ?

C’est facile, il suffit de se rappeler. Hier après-midi, quand on a joué aux super-héros, ils ont tous voulu essayer mon masque de Batwoman, parce qu’« on disait que quand on le portait, on avait des super-pouvoirs »… C’est Bruno qui leur a dit comme ça. Sauf qu’à ceux qui avaient des lunettes, ça leur faisait justement une drôle de tête, comme à Coraline, et à Simon aussi, qui en porte depuis pas longtemps. Et à grand-maman Carole, qui en porte depuis tout le temps.

A midi, je téléphone aux parents des quatre copains-copines avec lunettes de ma liste pour demander si personne n’a perdu un étui bleu. Non, personne, ils disent. Aucune idée. Désolés. Ils n’ont pas l’air intéressés, et ils n’ont pas le temps de m’écouter. Des adultes, tout craché.

– Il est pourtant bien à quelqu’un, cet étui ! je répète contrariée une bonne partie de l’après-midi.

Quand on sonne à la porte, je cours pour aller ouvrir, persuadée que c’est le propriétaire de l’étui qui vient le rechercher… Mais c’est juste Simon et Gabrielle qui viennent jouer. A peine ils entrent, je leur montre le mystérieux objet et je leur raconte mes recherches.

– Il faut qu’on résolve l’énigme ! je leur dis tout excitée. Moi, si j’avais perdu un objet aussi beau, j’aimerais le retrouver. En plus, c’est important, c’est pour transporter ses lunettes.

Gabrielle se tourne alors vers Simon et fait une drôle de tête.

– Oui, c’est une valise à lunettes ! Simon s’empresse de dire, ce qui fait éclater de rire Gabrielle.

Simon fait un sourire timide.

Hier, juste avant le départ des invités, il m’a aidée à ranger le costume et le masque de Batwoman dans ma valise. A lui, j’ai montré l’endroit secret où la coque est cassée et le coin juste derrière le tissu déchiré où je mets tous mes objets préférés. Je lui ai expliqué : « Si je les ai avec moi, je peux voyager n’importe où. Même des fois dans ma tête. » « Tu voyages dans la lune, alors », Simon a dit les yeux tout brillants derrière ses lunettes. « La lune, je suis sûr que c’est un endroit super », il a ajouté doucement en ramassant ma paire de chaussettes en laine tombée par terre.

En attendant, Gabrielle ne peut plus s’arrêter de rire. On n’est pas plus avancés, pour mon étui. Pour finir, on s’installe avec Célien pour faire une partie de Memory. Gabrielle commence en retournant un soleil et une coccinelle. Puis Célien tombe sur un ourson et un avion. Simon, lui, attrape les deux souris en une fois, un coup de chance ! Moi, tout en caressant la cravate blanche de minouche Valentin, je repense à l’étui – je suis têtue, à ce qu’on dit. D’après sa taille, c’est un modèle pour enfants, et d’après son état, il a été acheté récemment… Distraite, je retourne une loupe, puis un chat, et je remets les cartes à l’envers. Que faisait la pelote de Valentin dans cet étui ? je me demande… Après moi, Gabrielle trouve un réveil, puis une clé. Qu’est-ce qu’elle a donc à rigoler comme ça ?

C’est à Célien de jouer. Pendant que Célien réfléchit, Simon s’amuse à enrouler comme il faut le petit tas de laine beige pour reformer une pelote. Quand c’est son tour, il tombe sur la carte du deuxième réveil, mais il a oublié où était le premier. Il tire une carte au hasard. Raté ! Il me regarde et devient rouge, comme la carte coccinelle devant lui. Il n’a pas mis ses lunettes, aujourd’hui. Moi, fastoche, je m’empare des deux réveils, puis des coccinelles, et je retourne une des clés, quand tout à coup on sonne à la porte.

Célien court pour aller voir. C’est papa. Mais je ne bouge pas. Dans ma mémoire, un tiroir secret vient de s’ouvrir. Nom d’une pelote ! je pense en mettant toutes mes idées à l’endroit. Il n’y a pas que les quatre copains-copines de Célien qui ont des lunettes, il y a aussi deux des miens. Coraline n’a pas d’étui, elle porte ses lunettes tout le temps. Si l’étui est neuf, les lunettes aussi, sûrement. Dans l’étui, il y avait un joli cœur… J’examine les cartes du Memory et je tire la jumelle de la mienne, la clé de Gabrielle. Voyons, qui de mes amis peut posséder un tel étui ? Oui. Simon.

 

Sur la route entre chez maman et chez papa, Célien et moi, on se sent tout drôles. A la fois tristes et contents, comme souvent. Tristes parce qu’on vient de dire au revoir à maman, et aussi à Valentin, pour quelques jours. Contents parce qu’on a retrouvé papa, vu que c’est son tour.

Surtout, on tire chacun fièrement notre valise. Célien parce qu’elle est remplie de cadeaux, et moi parce que je viens d’en recevoir une toute nouvelle ! C’est papa qui l’a amenée. Il a dit qu’une belle valise, c’est important pour bien voyager. Elle est plus petite que l’autre mais plus solide, et moins lourde, aussi. Elle a plein de compartiments, et même une clé ! Elle est trop chouette.

Il y en aura eu, des surprises, aujourd’hui. Quand Simon et Gabrielle sont partis, maman et papa nous ont dit de nous asseoir sur le canapé, Célien et moi. Qu’ils avaient à nous parler. Ils ont dit qu’ils avaient reçu une lettre du juge pour les familles – ah, tiens, le fameux recommandé de ce matin – et ils nous ont expliqué quelle organisation le juge a décidée. On continuera à habiter chez maman et chez papa moitié-moitié, juste en changeant moins souvent. Une semaine entière chez chacun. « Mais on reste ensemble, avec Célien ? » j’ai demandé un peu tendue. Oui, ils ont répondu. Ils ont dit que Célien et moi, ça ne changerait pas. D’un seul coup, ça m’a fait comme une grande caresse sur ma tête de mule, et comme un super-désinquiétant sur toutes les griffures d’avant – qui m’a piqué jusqu’aux yeux et m’a fait pleurer un peu.

Finalement, il faut croire que parfois, les adultes entendent quand même ce qu’on leur dit.

Tout en admirant ma valise, je laisse filer de temps en temps mes yeux vers le ciel bleu. Tout à l’heure, avant de s’en aller, Simon m’a dit de garder son étui. Qu’il m’en faisait cadeau. Il m’a aussi tendu la pelote de laine toute refaite, toute belle, toute ronde. « Luce, tu sais… Quand je serai grand, je voudrais voyager avec toi dans la lune », il a dit. Cette fois, c’est moi qui ai rougi. Quand il est parti, ni vu ni connu, j’ai glissé dans l’étui la pelote de lune, comme un brin de rêve dans une valise – une petite valise qui a trouvé sa place dans la grande, au fond d’un tout nouveau compartiment secret.

Un étui à lune

Dans ma nouvelle valise, il y a trois chaussettes à trous, une botte secrète, ma grande ourse, un réveille-beau-temps, une luccinelle, et un étui à lune. Des trésors aux super-pouvoirs, que j’ai mis aussi dans ma mémoire, et que j’emporterai partout, parce qu’ils rendent le voyage plus doux. Grâce à eux, un jour, j’irai encore plus loin que le bout du monde. Aussi loin qu’on peut imaginer.

Tout en donnant la main à Célien, je laisse grimper mes yeux jusqu’au ciel bleu : la lune est pleine.

 

Un étui à lune… A ne pas oublier, pour toutes les prochaines fois.

 

Texte   Faustina Poletti
Illustration   Alicia Durand
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes