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Pour la petite histoire

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Quand je serai grand, je serai...
... pilote d'escampette

10 septembre 2018

J’aime bien l’école, mais je n’aime pas les devoirs. Voilà qu’après une leçon très intéressante sur les héros aventuriers et leurs différents métiers, notre instituteur n’a pas pu s’empêcher de nous donner un devoir. Un réflexe d’instituteur, sans doute. Il a d’abord demandé, l’air de rien, qui parmi nous savait ce qu’il voulait faire plus tard dans la vie. Il y a eu toutes sortes de réponses : astronaute, infirmier, policière, pilote de course… Puis il a enchaîné, déterminé :

– Comme premier devoir de la rentrée, vous allez me faire un dessin de votre futur métier. Vous en écrirez le nom au-dessus. Allons ! Mettez-vous au travail, c’est un devoir à faire en classe.

Moi, je suis bien ennuyé car je n’ai pas d’idée. Je regarde ce que font les copains : ma voisine Luce veut être juge, mon copain Bruno, explorateur, son amoureuse Coraline, comédienne. Mes autres copains copient leur héros, ou alors leur papa : pompier, justicier, ingénieur, cuisinier. Seulement moi, je n’ai pas de héros, et je ne connais pas mon papa. Il est parti, l’air de rien, quand j’étais petit. Il a pris la poudre d’escampette, comme dit maman. C’est dommage, il aurait pu me parler de son métier. Bien sûr, je pourrais faire comme maman, spécialiste des oiseaux, mais il n’y a pas beaucoup d’emplois dans ce domaine-là. De toute façon, la mine de mon crayon est cassée et j’ai perdu mon taille-crayon, je ne peux pas dessiner. Alors je fais des avions en papier, des engins de mon invention, que j’envoie à mon copain Bruno. Je me fais bientôt surprendre par l’instituteur.

– Simon, je me trompe ou tu es en train de te faire prendre en flagrant délit de fuite d’un devoir ?

Je ne réponds rien, mais je soutiens son regard.

– Dis-moi, quel est le métier de tes rêves ? il me demande en posant sa main sur mon pupitre.

– Je ne sais pas. Aucun, je réponds. Je trouve qu’on manque de métiers intéressants. Et puis, un seul métier, c’est nul. Pourquoi on devrait en avoir juste un dans toute sa vie ?

– Il faut pourtant commencer avec un, il me fait remarquer. Mets-toi au travail, maintenant, si tu ne veux pas avoir une mauvaise note. Ce n’est pas si difficile, creuse-toi un peu la tête…

Le métier de mes rêves ? Je regarde un de mes bolides en papier au fond de la classe. Soudain, je me vois dedans… Je suis un aventurier. J’ai atterri en terre ennemie, je suis prisonnier. Je dois absolument rallumer le moteur et m’enfuir. Mais comment ? J’empoigne mon cahier de textes… mon livre de bord ! Voyons, où est le démarreur ? Ah, tiens, voilà mon taille-crayon, juste ce qu’il me faut. Et la clé ? J’attrape mon crayon usé. Je le mets dedans et je tourne… Contact ! Hourra, je démarre ! Je slalome entre les pieds des copains, puis je décolle. Je fais des loopings autour des pupitres, je trace des lignes grises dans l’air et sur ma feuille. Gagné : je me suis évadé, ni vu ni connu. Je ris et je dessine une belle pirouette. Quand je serai grand, je serai pilote d’escampette ! Un métier rien qu’à moi, et peut-être aussi à mon papa. Juste lui et moi. J’adore ce métier-là.

Pilote d'escampette

C’est la fin de la classe. Tout le monde a déjà rendu sa copie quand je mets la touche finale. Je tends fièrement ma feuille à l’instituteur, qui lit d’abord le nom du métier. Il devient très sérieux, puis il examine le dessin. Après quelques instants, son visage s’adoucit et il me dit :

– Très original, bravo ! Ce devoir mérite une bonne note.

Vite, je ramasse mes escampettes en papier et m’apprête à sortir, lorsque je l’entends ajouter :

– Mais je crois que ce devoir mérite également d’être complété. Puisque c’est si « nul » d’avoir un seul métier, tu vas m’en trouver d’autres. Ce sera un devoir qui s’étendra sur toute l’année scolaire : tu devras dessiner plusieurs futurs métiers aussi originaux que celui-là.

Aïe. Sur ce coup-là, j’ai l’impression de m’être fait avoir. Pour quelques avions en papier lancés à travers la classe, je trouve la sanction sévère. Mais après tout, c’est de bonne guerre. Et pour une fois, je crois que c’est un devoir qui me va. Il se pourrait même que je m’amuse bien.

– Allez, sauve-toi, me dit-il enfin, un sourire en coin.

Pilote d’escampette… Et si ça existait pour de vrai ?

 

Texte   Faustina Poletti
Illustration   Alicia Durand
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes