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Pour la petite histoire

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Dans ma valise, il y a...
... ma grande ourse

1er décembre 2019

On a dû se lever tôt ce matin. Tellement tôt qu’il y a encore des étoiles dans le ciel. On les regarde, avec Célien, depuis la fenêtre de l’hôpital. Nous, on dit que c’est des ampoules minuscules qui s’éteignent à peine elles se cognent au bleu du début de la journée. Célien s’amuse à les compter – sauf qu’après dix, il recommence parce qu’il ne sait pas aller plus loin. Papa l’aide un peu, tout en défaisant ma valise. Maman est là, aussi. Avec papa, ils vont rester près de moi jusqu’à l’opération.

– Tiens ! papa s’étonne en explorant ma valise. Voilà ta luciole, Célien… Qu’est-ce qu’elle fait là ?

– C’est pour Luce, si elle a peur du noir pendant qu’elle dormira dans l’opération, Célien répond.

– Ah, bien… fait papa avec un air sceptique. Et le sac de billes, c’est aussi toi qui l’as pris ?

– Non, c’est moi ! je dis, impatiente de jouer. On peut commencer une partie maintenant ?

– Hum, ce n’est pas idéal, ici, ma chérie, maman dit. Vous jouerez ce soir chez papa, d’accord ?

Je fais oui de la tête, un peu déçue. Puis une infirmière entre dans la chambre. Elle vient nous expliquer comment l’opération va se passer. Elle a l’air gentille. Elle s’appelle Valérie.

Moi, j’ouvre ma valise et je fouille dans le coin où le tissu est déchiré – c’est un coin à trésors, un truc comme pas deux –, poussant de côté une botte de pluie, jusqu’à ce que je sente sous mes doigts le froid de deux petits yeux en verre et le chaud de poils tout doux, avec des chaussettes à trous au bout.

– Oh, c’est ton nounours ? Il est très mignon, Valérie me dit.

– Non, c’est une fille, je lui dis avant de ranger ma botte de pluie secrète. C’est ma petite ourse.

Pour l’hôpital, je n’ai pas voulu prendre Grande Ourse, mon vrai doudou. Mais ça, je ne le dis pas à Valérie. Les grands doudous, c’est pour les petits comme Célien. Moi, j’ai passé l’âge, non mais !

Quand Valérie ressort de la chambre, maman prend le journal. Elle dit qu’il faut attendre, maintenant – attendre l’opération, et aussi grand-papa Oscar, qui doit venir chercher Célien.

C’est long, d’attendre. Comme on ne peut pas jouer aux billes, on se dit des blagues et on invente des mots. « Etoile d’araignée ! » Célien fait. « Ampoule mouillée », je continue. « Flaque de billes », Célien rigole. « Artichaussette », je dis, le pied en l’air. « Valériole », il crie en me tendant sa luciole.

– Oscarlatine, fait tout à coup une grosse voix sur le seuil de la porte.

On tourne la tête : c’est grand-papa Oscar ! Quelle chance il a, Célien. Il va bien s’amuser, aujourd’hui. Grand-papa reste un petit moment avec nous, puis il me fait un gros bisou et s’en va avec Célien.

Je me sens bizarre, d’un coup. Je me demande comment ça fera quand je dormirai dans l’opération. Maman dit qu’on dort tellement profondément qu’on ne se rappelle pas. J’ai peur. Et si je ne me rappelais plus rien des choses d’avant, en me réveillant ? Et si je perdais la mémoire ?

Je regarde dehors le ciel qui s’éclaire, puis je guigne le journal de maman, les photos, la date…

– Mince, la fenêtre ! je dis tout à coup. On a oublié d’ouvrir la fenêtre, ce matin.

– Hein ? papa me fait d’un air étonné. Il faisait un peu froid pour ouvrir la fenêtre, tu sais…

– Non, la fenêtre du calendrier, j’explique. La première fenêtre de l’avent, c’était aujourd’hui !

Je voulais tellement savoir quelle surprise il y avait dedans ! Maintenant, il faudra attendre jusqu’à ce soir à cause de l’opération. Je fais la tête. J’ai comme une vilaine bête au fond de la poitrine.

– Je veux ma grande ourse, je dis après un moment avec des larmes au coin des yeux.

Papa et maman ne savent pas quoi faire. Ils se regardent. C’est la première fois depuis longtemps qu’ils arrivent à rester ensemble sans se disputer. Et je n’arrive même pas à en profiter.

– Luce, ma puce, papa me dit gentiment, ce ne sera pas possible avant l’opération, je suis désolé.

Mais moi, je voudrais l’avoir dans mes bras maintenant, Grande Ourse. Je ne peux pas attendre.

Valérie arrive. C’est l’heure de l’opération. Elle me donne un médicament à avaler et me parle, mais je n’entends rien parce que je suis trop triste. Papa me caresse les cheveux et maman essuie mes grosses larmes. Puis Valérie m’emmène sur un lit qui roule comme un chariot.

 

 

Il y a de petits bruits qui tournent autour de ma tête. Il fait nuit noire comme dans l’espace, et je suis sur ma planète. Elle ressemble au coin à trésors de ma valise. Devant moi, il y a des formes avec un contour qui brille : une botte de pluie, une luciole, un chariot… Des mots d’une voix inconnue viennent se cogner contre la coque de la valise, et finissent par entrer dedans. La voix est chaude. Elle dit mon nom. Et je me souviens. Je suis à l’hôpital. Je me réveille de l’opération.

Un instant après, Valérie est à côté de moi et pousse mon lit à roulettes jusqu’à ma chambre, où papa et maman m’attendent. Ils ont l’air si heureux de me voir. Et ils ont quelque chose pour moi… Oh, si j’avais la force, je sauterais de joie sur mon chariot : c’est Grande Ourse !

 

Le soir chez papa, je raconte tout à Célien et à grand-papa Oscar. Papa m’aide à défaire ma valise. Je rends la luciole à Célien. Dans le coin à trésors, il y a trois chaussettes à trous, une botte secrète, et ma grande ourse. Je prends Grande Ourse et la serre fort contre moi. Quand je disais que j’avais passé l’âge pour le grand doudou, c’étaient des blagues, je lui murmure. En vrai, Grande Ourse, c’est un doudou comme pas deux. Puis je me répète plusieurs fois : « Trois chaussettes à trous, une botte secrète, ma grande ourse. » C’est bon, je me dis rassurée, je n’ai pas perdu la mémoire.

– Hé, on ouvre la fenêtre du calendrier ? Célien s’écrie.

Je le suis dans le salon. Il me laisse ouvrir la fenêtre, et moi, je le laisse sortir le petit cadeau.

– Ouah, deux agates, il dit en faisant tourner les billes devant ses yeux. Elles sont trop belles !

Je pose Grande Ourse et Petite Ourse par terre, et on place plusieurs billes autour d’elles. A la fin, on enlève les ourses, mais les billes dessinent encore leur forme. C’est papa qui nous a montré ça, une fois. Il dit qu’il y a le même dessin dans le ciel, sauf pas avec des billes mais avec des étoiles. 

Célien compte les billes. On regarde dehors nos petites ampoules du ciel s’allumer une à une. Moi, je compte aussi : encore 24 dodos jusqu’à Noël.

Ma grande ourse

Ma grande ourse… A ne pas oublier, pour la prochaine fois.

 

Texte   Faustina Poletti
Illustration   Alicia Durand
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes