Parmi les ratazazous qui travaillent la nuit, il y a une équipe de joyeux zazous qui s’occupe du service de téléconstellation. Chaque soir, quand les étoiles commencent à briller, ils acheminent des messages des habitants du monde jusqu’à l’autre bout de la Terre, au moyen d’un appareil très perfectionné appelé le ratatélescope. Le ratatélescope est une énorme lunette de la taille d’un gros moule à tarte avec une large fente sur le côté, qui fonctionne grâce à la lumière des étoiles. Cet outil permet non seulement d’observer une grande partie du ciel, mais aussi d’envoyer des dessins à d’autres ratatélescopes dans le monde.
La ratasuperviseuse Perlimpimpline et sa jeune élève Zoralarousse observent chaque nuit les planètes et envoient beaucoup de dessins au moyen de leur ratatélescope. Elles ont leur poste au sommet d’une tour très haute qui est la centrale de distribution. Elles dorment à la belle étoile, bien sûr, mais elles travaillent plus qu’elles ne dorment. C’est qu’elles adorent leur métier !
Ce soir, leurs collègues d’une antenne régionale, le jeune Zodiaf et le grand Petifiloum, leur demandent d’envoyer un message de la plus haute importance à tout le réseau des ratatélescopes. Perlimpimpline se réjouit de recevoir une demande du charmant Petifiloum. Mais il s’agit d’un message bien triste, en fait : une déclaration de guerre d’un pays à d’autres pays. Perlimpimpline est tourmentée par ce message, elle en perd toute sa joie. Une guerre. Et ce soir, en plus ! Les habitants du monde – cela désole les ratazazous – ne voient parfois pas d’autres moyens que les armes pour se faire comprendre.
Heureusement, voilà le Grand Marchand du quartier qui débarque dans leur observatoire, et Perlimpimpline oublie un peu ses tourments. Il semble bien guilleret, il a les yeux qui brillent et une longue traînée de sa fameuse poudre de sable flotte derrière lui. Mais que fait-il là ? Il est trop tôt pour que Perlimpimpline et Zoralarousse aillent dormir ! Un message à envoyer, peut-être ?
– Un faire-part de naissance, dit-il. Je viens juste de saupoudrer du sable sur le nourrisson pour l’endormir. Il est dans une ferme à deux pâtés de maisons de là, sous l’étoile numéro 2B. Ce bébé a des yeux comme le ciel, remplis d’étincelles qui illuminent tous les visages autour de lui. Il faut le voir ! Tenez, voici les destinataires du message… Ce sera pour eux une fête, j’en suis sûr !
Le Grand Marchand redescend aussitôt. Il sait qu’il ne doit pas trop tarder, sinon Perlimpimpline et Zoralarousse risquent de tomber de sommeil à cause de lui. Et puis, lui aussi a encore du travail ce soir. Il a plein de ratazazous et d’habitants du monde à endormir dans son quartier.
Sans plus attendre, nos deux spécialistes de la téléconstellation s’occupent des messages qu’on leur a confiés. Zoralarousse prépare le ratatélescope en l’inclinant vers la lumière des étoiles pendant que Perlimpimpline choisit l’un de ses superstylos lasers. Puis Perlimpimpline pose délicatement une feuille de papier calque sur la lunette ratatélescopique. Elle observe et commence à dessiner, sous le regard admiratif de Zoralarousse. Elle trace des lignes entre les étoiles selon un ordre précis, de manière à faire apparaître des images, des constellations très spéciales qui traduisent fidèlement le message à transmettre. Les étoiles cachent nombre de beaux dessins si on sait les suivre ! Pour le message de Zodiaf et Petifiloum, Perlimpimpline parvient à obtenir une image d’éclairs et de canons. Pour l’autre, voyons : une grange, de petits soleils, des gens contents… Elle pense au visage de Petifiloum.
Enfin, les calques sont prêts. Perlimpimpline les glisse dans la fente du ratatélescope en fredonnant la Radonelle. Les rouages grincent. L’appareil vibre dans la nuit, chantonne, puis avale les dessins, et reproduit leur image à distance par le procédé de la télescopie. Loin d’ici, les autres ratatélescopes en reçoivent instantanément une copie sur leurs propres calques. Tous les joyeux zazous spécialistes de cette technique n’ont plus qu’à les transmettre aux bureaux des habitants du monde concernés.
Mais Zoralarousse sursaute ! Nom d’un dragon étoilé, Perlimpimpline a croisé les deux messages : le faire-part de naissance et la déclaration de guerre ! Elle a envoyé les éclairs de feu aux quelques personnes qui s’apprêtaient à faire la fête, et le faire-part de naissance au monde entier… Normalement, Zoralarousse devait contrôler les messages avant l’envoi, mais elle a oublié ! Elle se lamente, quelle conséquence cela aura-t-il sur les habitants du monde ? Elle regarde à travers la grande lunette, toute inquiète. Puis elle sort de sa poche une bougie, une de celles fabriquées par Clignotine à l’occasion de son Entrée des métiers. Elle l’allume, et elle espère fort. Elle ferme les yeux. Il lui semble que, loin d’ici, son ami Zazoum lui envoie une télépensée d’encouragement.
Or contre toute attente, ce soir le monde entier devient subitement plus calme. D’un instant à l’autre, quantité d’habitants ont tourné les yeux vers le ciel et ils ne bougent plus. En haut de la tour, il règne un silence absolu, on entendrait presque les planètes murmurer.
Tout en bas, le Grand Marchand, encore en tournée, est surpris :
– Mais que regardez-vous là ? demande-t-il aux habitants. Vous devriez être en train de dormir…
– Eh bien, chuchotent-ils, vous n’avez pas reçu le tous-ménages express dans votre boîte aux lettres ? Tenez, la bonne nouvelle : « Dans une étable, juste au-dessous de la planète Vénus, un enfant est né, capable de mettre toutes les étoiles du ciel dans le cœur des gens. Regardez… »
Et soudain, des coups de feu éclatent, venant d’un petit quartier tout proche… Quoi donc ? Est-ce la guerre ? Non, c’est tout le contraire. C’est un gigantesque feu d’artifice, rouge, vert, bleu, une vraie fête, aussi belle que la Fête des couleurs chez les ratazazous ! Les habitants du monde sautent de joie, beaucoup en viennent à oublier qu’ils étaient fâchés. Certains, même, se tendent la main et font la paix.
– C’est fou, Perlimpimpline ! s’exclame Zoralarousse. Tu as vu ? Notre erreur de télescopie sauve le monde d’une guerre !
Perlimpimpline n’ose pas la regarder dans les yeux, elle sait que Zoralarousse devinerait sa ruse… Faire exprès de croiser les deux messages, c’était risqué tout de même. Mais ç’a marché ! Cette nuit, il ne pouvait pas y avoir la guerre, c’est tout.
– Non, Zoralarousse, répond Perlimpimpline. C’est ce bébé qui est en train de sauver le monde.
Ils sont drôles, quand même, ces habitants du monde, songe Zoralarousse en soufflant doucement sur sa bougie.
Perlimpimpline a retrouvé sa joie. Cette nuit, c’est comme si le ciel étoilé avait brillé plus fort sur le monde. Elle a bien envie d’utiliser la téléconstellation pour envoyer un mot doux à Petifiloum. Sur un papier calque, avec son superstylo laser, elle relie les étoiles pour former un dessin où deux ratazazous enroulent fort leurs nez-en-trompette. C’est fou, tous les jolis dessins qui peuvent se cacher entre les étoiles, se dit-elle en fredonnant la Radonelle. C’est sa plus belle nuit de Noël.
