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Pour la petite histoire

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Dans ma valise, il y a...
... une luccinelle

21 mars 2020

Aujourd’hui, c’est le jour où on change de saison. Le jour du soleil qui revient, comme a dit ma marraine quand on s’est levés ce matin.

– Oh, Luce, regarde : ça y est, la maison à coccinelles est habitée, elle me fait en montrant la petite boîte en bois remplie de foin sur la table de la terrasse.

Encore en chaussettes, je cours voir dehors, suivie par Célien. Il y a trois têtes d’épingle rouges avec des points noirs devant la maisonnette. On crie de joie. Ça fait longtemps qu’on attendait ça. Il faut croire qu’avec le soleil, la chance aussi est de retour. Après toutes les malchances que j’ai eues ces derniers temps (ma valise qui s’est ouverte toute seule au milieu de la rue, le cahier que j’ai perdu dans la bouche d’égout, ma botte de pluie qui a glissé dans la boue), le voilà enfin mon porte-bonheur ! Je saute dans les bras de ma marraine.

Avec Célien, on vient des fois en mini-vacances chez elle, les week-ends où c’est le tour de maman. Ma marraine, elle nous emmène au cinéma, au parc ou au musée, et après, on reste dormir chez elle. On aime bien, parce qu’on se couche toujours plus tard que chez maman ou chez papa. Et aussi, elle nous lit des histoires du soir super-longues, quand Célien la supplie bien. Célien, il est prêt à tout pour retarder le moment où on doit dire bonne nuit.

Hier soir, moi, je voulais absolument qu’elle nous lise le livre qu’elle a sur les insectes, parce qu’elle nous avait justement emmenés voir une exposition au Musée de la nature, après l’école. Mais elle n’a pas pu, parce qu’elle venait de le prêter à sa voisine, le livre (encore une malchance). Finalement, elle nous a lu l’histoire de la lampe merveilleuse qui peut exaucer les souhaits, grâce au génie protecteur qui apparaît quand on frotte dessus avec un bout de tissu. C’est sûrement grâce à lui que la maison à coccinelles a des habitants, maintenant.

Mais le génie de la lampe (ou peut-être celui de ma marraine) a d’abord réalisé un autre souhait.

Hier soir, à la fin de l’histoire, quand ç’a été le moment d’éteindre la lumière, Célien s’est aperçu que maman avait oublié de mettre sa luciole dans sa valise. On a vérifié aussi dans la mienne, pour être sûrs. J’ai même regardé dans le coin spécial objets indispensables, là où je mets mes trésors secrets. Elle n’y était pas. D’abord, Célien n’a pas fait de drame, il a juste dit de laisser la porte entrouverte. Mais après, quand on était seuls tous les deux avec nos doudous (moi, ma grande ourse toute douce sur la joue, et lui, son lapin sale comme un chiffon sur le menton), il s’est mis à chanter très fort. Quand il fait comme ça, moi, je sais que c’est pour dire que ça ne va pas.

– Tu veux qu’on appelle marraine ? je lui ai demandé. On n’a qu’à lui dire, elle va comprendre. Peut-être qu’elle a une autre veilleuse pour remplacer ta luciole…

– C’est toi qui lui dis, il a répondu en frottant ses yeux déjà pleins de chagrin.

Alors, j’ai appelé ma marraine, et je lui ai dit : la porte entrouverte, ça ne suffit pas. Célien a absolument besoin d’une luciole, parce qu’il a peur du noir.

Bien sûr, elle a compris. Ni une ni deux, elle a remué toute la maison avec grand bruit pour trouver quelque chose. Elle est revenue avec une vieille lampe de chevet qu’elle a branchée près de Célien. Quand elle l’a allumée, c’était rigolo à voir : l’abat-jour était rouge à pois noirs.

– Eh, c’est comme une coccinelle ! j’ai remarqué.

– Exactement, elle a dit en s’asseyant à côté de Célien, c’est une luciole spéciale coccinelle. Tu te rappelles ce que disait l’exposition au musée ? Les coccinelles ont un super-pouvoir : grâce à leur couleur rouge, elles font fuir les prédateurs. Avec un abat-jour comme ça, cette luciole-là va chasser tous les monstres du noir, tu verras. Tu peux dormir sur tes deux oreilles, maintenant.

– Oui, les monstres seront chassés par l’abat-rouge, Célien a dit tout content.

Ma marraine nous a fait un dernier bisou, et elle est repartie. Seulement, quand la porte s’est retrouvée entrefermée, ça n’a pas fait long avant que Célien se remette à chanter. La couleur rouge, ça ne suffisait pas. Il voulait sa luciole.

– Tu sais, la lampe, c’est encore mieux, je lui ai expliqué, ça éclaire plus qu’une veilleuse.

– Lampe… Veilleuse… il répétait en chantant.

Au même moment, derrière la porte, il y a eu un petit bruit. Depuis mon lit, j’ai jeté un œil dans le couloir, puis le long du mur. « Lampe-veilleuse », Célien continuait. Je me suis rappelé ce que ma marraine avait raconté, et j’ai eu une idée. Ni une ni deux, je me suis levée pour aller vers Célien.

– Tu me prêtes ton doudou ? je lui ai demandé. Juste une seconde…

Il m’a tendu son chiffon à longues oreilles. Moi, je l’ai posé sur la lampe coccinelle, et j’ai frotté, comme le héros de notre histoire du soir. Puis j’ai reculé. Alors tout à coup, une drôle d’ombre qui faisait une forme humaine un peu tremblante a grandi sur le mur juste derrière la lampe.

– Nom d’une chaussette ! j’ai chuchoté. C’est le génie protecteur !

Célien a regardé le mur et s’est arrêté de chanter. Il faisait des yeux ronds. Puis il a crié :

– Tu peux dire un souhait !

Pendant qu’il regardait la lampe, j’ai regardé dans le couloir, où la lumière était tamisée.

– Je voudrais une lumière plus forte pour faire comme la vraie luciole de Célien, et pour combattre toutes les peurs du noir jusqu’à demain matin, j’ai dit tout haut.

Soudain, une lumière vive est apparue sur la lampe de chevet, qui s’est mise à briller, et elle a éclairé une partie de la chambre. (Et aussi tout le couloir).

– A ton tour, j’ai dit à Célien qui rigolait. Demande quelque chose au génie !

– Je voudrais un super-porte-bonheur pour combattre toutes les malchances de Luce, juste à demain matin, il a dit en se trompant un peu dans les mots.

– Tu as dit « juste » au lieu de « jusque », j’ai fait remarquer. Alors ce sera seulement pour demain.

Devant nous, la forme du génie s’est penchée au-dessus de la lampe, et on a entendu au loin une mélodie de berceuse qu’on connaît bien. Puis le génie a disparu.

– En vrai, elle est magique, cette lampe, Célien a dit, elle peut réaliser les souhaits. Elle peut faire une lumière brillante et aussi te donner la chance !

– Exactement, j’ai dit, c’est une luciole-coccinelle.

– Oui, une luxiole-cossinelle, Célien a voulu répéter.

– Une luccinelle ! j’ai dit toute contente de ma trouvaille.

On a chacun levé un doigt et, comme on fait d’habitude pour dire « tope là », on l’a posé sur le visage de l’autre, au milieu du menton. Puis je lui ai rendu son doudou-chiffon.

Après ça, Célien a bâillé et il s’est endormi. Dans l’embrasure de la porte, j’ai vu qu’il y avait une toute petite boîte à musique en bois posée par terre dans le couloir. J’ai fermé les yeux à demi et je les ai frottés un peu. J’ai entrebâillé de sommeil, et pour finir, je me suis aussi endormie.

 

Ce matin au réveil, le génie de la luccinelle nous a donc exaucés, avec trois porte-bonheur pour le prix d’un souhait. Quand maman nous rejoint, l’après-midi, on est encore en train d’observer les petites boules rouges sur pattes dans leur nouvelle maison. Bien sûr, on raconte tout à maman, l’histoire du soir, la nuit de la luciole, le matin des coccinelles, la magie de la luccinelle.

– C’est génial, la luccinelle, Célien lui explique. C’est une lampe encore mieux qu’une veilleuse, c’est une merveilleuse !

Au moment de dire au revoir et de refaire les valises, on fait bien attention à ne rien oublier, les doudous, les cahiers, les chansons et les bisous, les chaussettes et les tickets de musée.

– Tenez, emportez la luccinelle, ma marraine nous dit. Vous l’avez baptisée, elle est à vous, maintenant ! C’est sûrement un bagage indispensable, elle ajoute (en me faisant un clin d’œil).

Célien saute de joie, et moi, je serre ma marraine dans mes bras. Il faudra qu’on montre ça à papa.

Avant de fermer comme il faut ma valise, je jette un œil vite fait dans le coin secret, et je fais le compte. C’est bon, tout y est. Dans ma valise, il y a trois chaussettes à trous, une botte secrète, ma grande ourse, un réveille-beau-temps, et une luccinelle.

Du balai !, les monstres du noir et ceux qui portent la poisse. Aujourd’hui, c’est le réveil du soleil et de la chance. Aujourd’hui, c’est le premier jour du printemps.

Une luccinelle

Une luccinelle… A ne pas oublier, pour la prochaine fois.

 

Texte   Faustina Poletti
Illustration   Alicia Durand
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes