Skip to main content

Pour la petite histoire

bouton parchemin pdf bleu

On disait qu' c'était...
... une grande couverture sombre

25 avril 2018

Ce soir, je suis un peu triste. Nous avons eu mon tonton Théodore en visite cet après-midi, mais il était si malheureux ! Il n’allait pas bien du tout. Les coins de sa bouche tombaient, et tout son visage semblait tiré vers le bas. Il paraît qu’il est comme ça depuis des jours et des jours, et que ça ne part pas. Je ne comprends pas, d’habitude, tonton Théodore me fait rigoler et joue avec moi… Mais là, rien du tout. On aurait dit que tous ses gestes étaient un gros effort. Je demande à papa de m’expliquer. Il s’empêtre dans des explications scientifiques, je ne comprends pas bien. Il finit par me dire que c’est une grosse, une immense, une vilaine tristesse qui s’est jetée sur tonton, mais qu’il est soigné, et qu’on tâche de lui enlever cette tristesse.

– Mais c’est quoi, cette tristesse ? je demande. D’où ça lui vient ?

– Tonton Théodore se sent très fatigué, abattu. Il n’a plus de goût aux choses, en ce moment.

– Un peu comme quand on s’ennuie mais en pire ?

– En bien pire, oui. Il voit tout en noir, il a le cafard. Et il est anxieux. Comment t’expliquer ?…

J’essaie d’imaginer. Ça l’empêche de voir les belles choses, ça enlève toutes les couleurs. Ça le freine et ça lui fait du mal. Je dis à papa :

Une grande couverture sombre

– On disait que c’était une grande couverture de couleur sombre. C’était moche, ça piquait et ça lui bouchait la vue. C’était une couverture de chagrin, qui avalait toutes les couleurs.

– Oui, répond papa, c’est ça : c’est comme si tonton Théodore voyait les choses en noir et blanc.

– Et aussi, ça le cachait un peu aux autres, je dis encore. On ne voyait plus bien le vrai Théodore.

– C’est juste, dit papa. C’est comme s’il devenait lui-même un peu en noir et blanc.

– C’était une couverture très épaisse, je continue. C’était pour ça qu’il était fatigué : ça lui pesait lourd sur ses épaules, ça tirait sur les coins de sa bouche, ça le gênait pour avancer sur son chemin et relever la tête. Et parfois, la couverture se mettait en boule et s’enfilait dans sa poitrine, comme une sale bête. Alors il avait du mal à respirer. Ça l’encombrait, et ça lui piquait en dedans.

Je m’arrête. Je comprends mieux, mais on ne peut pas laisser tonton comme ça. Je crie :

– J’ai une idée pour le débarrasser de cette grande couverture sombre ! On se mettait à plusieurs pour tirer dessus et l’enlever. On la posait dans un coin, on la peignait de toutes les couleurs pour chasser l’ennui, et on en faisait un beau tapis. Ensuite on marcherait dessus pour rendre les poils plus doux. Et puis surtout, on lui jetterait un sort. Peut-être alors que le tapis… volerait, loin.

Papa sourit. Moi, je suis rassuré : je sens qu’avec un peu d’effort, on peut guérir tonton Théodore.

La tristesse, une grande couverture sombre… Après tout, ça se pourrait.

 

Texte   Faustina Poletti
Illustration   Maëva Lamberti
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes