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Pour la petite histoire

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Quand je serai grand, je serai...
... jardinier de grands-parents

23 janvier 2019

Avec maman, on va à la maison de retraite voir grand-papa, cet après-midi. Comme il ne peut plus être seul chez lui, il vit dans une grande maison entourée d’un beau jardin avec plein de personnes de son âge, où des gens dont c’est le métier s’occupent de lui.

Au bout du chemin, passé le jardin encore tout gelé, on entre dans le grand séjour de la maison. Plein de têtes aux cheveux blancs se lèvent et nous regardent. Grand-papa est assis à une table, on dirait qu’il attend. En fait, tous les gens ici ont l’air d’attendre. Ils ne sourient pas trop. Peut-être qu’ils s’ennuient. Moi, je cours vers grand-papa et je l’embrasse fort, même s’il pique un peu.

La dame des cuisines nous sert à goûter. Normalement, grand-papa aime bien manger. Il était cuisinier, avant. Mais là, il ne touche pas aux gâteaux. Il a l’air fatigué. Il tire sa couverture sur ses genoux et ne dit pas grand-chose. En plus, il n’entend pas bien quand je lui parle.

– Je suis vieux, tu sais, il me dit. J’ai les cheveux poivre et sel, et un peu de sable dans les oreilles.

Moi non plus, je ne comprends pas toujours tout ce qu’il dit, grand-papa. Il a parfois un langage bien à lui, des mots de l’ancien temps, comme il dit. A côté de nous, une grand-maman occupée à arroser les fleurs s’adresse à maman :

– Vivement le printemps !

Elle a plein de jolies rides au coin des yeux, comme moi quand je ris, sauf qu’elle, elle ne rit pas.

– J’aimais tant m’occuper de mon jardin, elle soupire.

L’animatrice de la maison de retraite vient proposer des activités à grand-papa pour la soirée, mais il n’est intéressé par rien du tout. Il a les yeux qui brillent, comme moi quand je vais pleurer.

Sur le chemin du retour, je demande à maman pourquoi grand-papa est si triste.

– Je pense qu’il s’ennuie de grand-maman, elle m’explique. Tu sais, elle est morte à cette période de l’année, alors c’est un moment un peu difficile pour lui.

– Super-difficile, je lui dis avec un goût un peu amer dans la bouche.

Moi aussi, je l’aimais bien, grand-maman. Je me rappelle, elle portait toujours un joli pashmina qui lui tenait chaud, qui sentait bon, dans lequel elle nous enveloppait quand elle nous embrassait.

Le lendemain, je décide de retourner voir grand-papa avec ma cousine Gabrielle. Car mon grand-papa, c’est aussi son grand-papa à elle. A deux, on va mieux s’occuper de sa tristesse, je me dis.

Grand-papa est de nouveau assis dans le grand séjour. Je lui offre un dessin que j’ai fait pour lui, et Gabrielle lui donne un bricolage qu’elle a fait au jardin d’enfants. Elle lui prête aussi ses doudous Lulu et Oswald. Grand-papa passe la main dans ses cheveux poivre et sel. Il ne sourit toujours pas. Nous, on s’empiffre des sandwichs qu’apporte la dame des cuisines. Plus loin, la grand-maman de la veille s’affaire encore à arroser les fleurs du grand séjour. Je lui dis bonjour.

– Vivement le printemps, elle me répond. Pour le jardin. J’aimais tant mon jardin…

Grand-papa la regarde. Puis il croque dans un sandwich en faisant la grimace.

– Hem, ça manque cruellement de sel, cette tambouille, il dit.

– Tu n’as qu’à en prendre un peu dans tes cheveux, je lui fais, il y en a assez !

Ça le fait rire, gagné ! Il me caresse la joue avec sa main rêche, puis il regarde la vieille dame.

Jardinier de grands-parents

– Votre grand-maman à vous aussi aimait bien les fleurs, il nous dit. Surtout leur parfum. Moi, c’est plus le parfum de grand-maman que j’aimais bien…

Gabrielle grimpe sur les genoux de grand-papa. Elle dit à Lulu et Oswald de lui faire chacun un bisou, même si ça pique sur ses joues. Grand-papa semble content. Il se met à raconter…

– Je me souviens d’une fois où, pour taquiner grand-maman, je lui ai arrosé les pieds. Je voulais voir si elle grandirait encore, il nous dit avec de jolies rides au coin des yeux. Oh, elle était furax !

Gabrielle et moi, ça nous fait trop rigoler. Alors grand-papa nous raconte un tas d’autres histoires, avec ses mots à lui, sur son ancien temps, le temps où il avait l’âge d’être au jardin d’enfants… On s’amuse bien, tous les trois. Puis il regarde le dessin que je lui ai offert.

– Toi, grand-papa, quand tu serais grand, tu rêverais de faire quoi ? je lui demande.

– Quand je serais grand ? Eh bien… être heureux avec mes petits-enfants, il répond en souriant.

Moi, de mon côté, j’ai bien réfléchi depuis l’autre fois. Quand je serai grand, je veux créer un endroit super-accueillant pour les grands-parents. Pas le genre salle d’attente où on s’ennuie, mais le genre grand séjour qui sent toujours bon le printemps. J’y mettrai un tas de choses qu’ils aiment : des goûters savoureux, un immense jardin rien que pour eux, des pinceaux pour enlever le sable de leurs oreilles, et des enfants pour partager les rêves et les histoires qui veillent sous leurs cheveux blancs. J’en ai parlé avec Gabrielle, déjà, et elle est d’accord avec moi. Quand on sera grands, on sera jardiniers de grands-parents.

Quelques jours plus tard, avec maman, on a retrouvé le joli pashmina de grand-maman au fond de l’armoire. Au bout du chemin enneigé, passé le jardin maintenant tout blanc, grand-papa nous attend. Je lui pose le pashmina à la place de sa couverture. Ce sera un peu ses Lulu et Oswald à lui, je lui explique. Il serre le tissu entre ses doigts, le prend tout contre sa joue et respire. Il a les yeux qui brillent. Je ne sais pas si c’est l’envie de pleurer, ou de rêver…

Jardinier de grands-parents… Et si ça existait pour de vrai ?

 

Texte   Faustina Poletti
Illustration   Alicia et Elisa Durand
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes