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Pour la petite histoire

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Quand je serai grand, je serai...
... enchanteur rock'n'roll

22 février 2019

Dessiner, c’est comme jouer d’un instrument, en fait. Il faut le faire assez souvent pour avoir plus de facilité et être content du résultat. Le dessin que je suis en train de faire, comme mes derniers, il sera pour mon instituteur. Mais celui-là, je le lui donnerai comme cadeau, pas comme devoir. C’est pour le remercier pour le super spectacle de l’école qu’on a fait vendredi soir.

Je choisis mes couleurs préférées, j’ai même les stylos qui font des paillettes. C’était drôlement chouette d’être sur la scène de la grande salle de l’école. On a fait un spectacle musical, une version moderne des légendes du Moyen Age, avec château, sorciers et troubadours. Avec mon copain Bruno et ma copine Luce, on faisait l’orchestre : Bruno au clavier, Luce à la voix, et moi à la guitare électrique. Les autres faisaient les comédiens. Coraline, l’amoureuse de Bruno, avait même le rôle principal. On avait des micros et des costumes qui brillaient, et tout et tout. J’en ai les doigts pleins de paillettes.

Avec les copains, on était excités comme des puces à chaque répétition. « Montés sur ressort », se fâchait le directeur de l’école quand il nous surprenait en train de courir dans les couloirs. Mais nous, quand on se réjouit, ça nous démange trop. On ne peut pas rester sérieux comme lui, droits comme des i et pas un cheveu plus haut que l’autre. Deux semaines avant le spectacle, il est venu nous écouter. Il n’a pas bougé. A la fin, il a regardé l’instituteur avec son air sévère.

– Vous ne pensez pas que quelque chose de moins bruyant ou, disons, de plus classique serait plus abordable pour ces jeunes gens ? lui a-t-il demandé en tournant la tête de notre côté.

Il faut dire que dans l’orchestre, on n’était pas tout à fait au point. Bruno n’arrivait pas à jouer en rythme, Luce chantait faux, et moi, je ne connaissais pas bien mes notes. On n’était pas brillants brillants, et notre instituteur n’est pas magicien. Quand même, c’était rude pour nous. Ce jour-là, à la répétition, tout nous a paru plus difficile. A la fin, Bruno, Luce et moi, on était découragés.

– De toute façon, le directeur ne veut pas qu’on fasse de bruit, j’ai dit. C’est nul.

– Calme-toi, Simon, a fait l’instituteur. A nous de lui montrer qu’on peut faire du beau bruit…

– Mais comment ? Luce a demandé.

– Eh bien, en répétant encore, en essayant de faire toujours mieux. Ça, vous en êtes capables.

Sur ce coup-là, il avait raison. Alors on s’y est tous mis sérieusement. J’ai travaillé à la guitare comme jamais. A la maison, maman m’encourageait, et à l’école, l’instituteur m’aidait à lire comme il faut les notes sur la partition. De mon côté, j’ai aidé Luce à entendre les notes justes en chantant avec elle, parce que ça, j’y arrive bien. Coraline, elle, battait le rythme pour aider Bruno.

– Ce qu’il faut avant tout, a précisé l’instituteur, c’est transmettre ce qui vous plaît dans cette musique. Vous devez charmer le public, réveiller le cœur des gens dans la salle. Ils doivent tous avoir envie de chanter avec vous et de danser, même votre grand-papa. Même le directeur ! Il faut créer la magie du spectacle…

Enchanteur rock'n'roll

On a répété tous les soirs après l’école, jusqu’à vendredi. Quand vendredi est arrivé, on était super-excités. Le soir, devant la grande salle remplie de parents, de copains, de tous les instituteurs de l’école, et même du directeur, on a joué. Et comme on s’est amusés ! Ce soir-là, notre Moyen Age à nous a fait trembler tout le château. Bruno faisait glisser les notes d’un bout à l’autre du clavier, renversant les touches comme des dominos. Coraline lui faisait des clins d’œil en rythme. Luce chantait presque juste, et quand elle n’y arrivait pas, elle récitait les paroles comme un poème en me laissant chanter la mélodie par-dessus. Une formule du tonnerre ! Moi, je grattais comme un fou sur ma guitare, et j’ai aussi gratté tant que je pouvais sur ma voix. Voilà comment on a fait du rock’n’roll. Dans la salle, le public battait des mains. Les copains criaient les paroles avec nous. Toutes les mamans et tous les papas, sauf le mien qui n’est pas là, souriaient, hypnotisés. Nous, on essayait d’envoyer tous les brillants de nos costumes jusque dans leur cœur.

C’est alors que je l’ai vu. Le directeur battait des mains encore plus fort que les autres. C’est lui qui s’est levé le premier. Alors, ç’a fait comme un domino à l’envers : ses voisins l’ont imité, et bientôt, toute la salle a été debout. Enfin, l’air de rien, le directeur s’est mis à se trémousser, puis à danser. La magie avait opéré.

Après le spectacle, je crois que notre instituteur était aussi excité que nous. Quand je lui ai dit au revoir, il m’a ébouriffé les cheveux affectueusement et il a dit :

– Ah, Simon, notre superstar ! Tu as enchanté le public ce soir, bravo, mon garçon !

Moi, j’étais si fier. J’ai trop envie de recommencer. Je vais continuer à répéter souvent, pour avoir de plus en plus de facilité avec mon instrument. Maman dit qu’avec ça, j’arriverai à ensorceler toutes les filles de l’école. Moi, je rigole. Quand je serai grand, je serai enchanteur rock’n’roll.

Mon dessin est fini, je suis content du résultat. J’espère que l’instituteur aimera. Quand il m’a dit « mon garçon », ça m’a fait comme un ressort qui se détend et qui chatouille juste au-dessus de l’estomac. Lui aussi, il était fier de moi. Je me demande si on est fier comme ça, quand on est papa. Je pose mes stylos. J’ai encore les doigts pleins de paillettes. Et pas seulement les doigts, en fait.

Enchanteur rock’n’roll… Et si ça existait pour de vrai ?

 

Texte   Faustina Poletti
Illustration   Alicia Durand
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes